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toutes les intrigues des moines ; une terreur religieuse s’est emparée des partisans d’Arnaldo, qui reste abandonné et doit chercher un refuge dans le château d’Ostasio, l’un de ses prosélytes. Au quatrième acte, paraissent des chœurs composés d’habitans de Tortona, Chieri, Asti, Trecate et Gagliate, villes incendiées par l’empereur. D’autres chœurs représentent l’armée allemande ; on assiste à la grande assemblée des princes de l’empire, qui discutent tous les intérêts de la tyrannie. Le pacte austro-guelfe est signé, Barberousse rend hommage au pape, et s’engage à lui soumettre la bourgeoisie romaine ; le pape, à son tour, livre à l’empereur les villes lombardes. Ainsi, le sort de l’Italie est décidé. Au dernier acte, Rome est vaincue. Arnaldo, livré par une trahison pontificale, marche au supplice ; on jette ses cendres dans le Tibre, de crainte qu’un jour le peuple ne l’adore comme un saint. « L’Italie n’aura pas une seconde vie, s’écrie un chœur d’Allemands. — L’Italie ne doit avoir qu’un roi dans le ciel, s’écrie un chœur de Romains. » Serait-ce donc là le dilemme de l’Italie moderne : les Allemands ou la république ?

Les vers de M. Nicolini sont si harmonieux, qu’on dirait qu’il a mis en musique les invectives des guelfes et des gibelins ; tous les actes ont leur tableau final. Ce drame est un grand opéra qui n’a besoin ni de chanteurs ni d’orchestre. L’attaque est violente, l’allusion directe. Ces chœurs, ce peuple du XIe siècle, ces cardinaux, sont des sanfédistes, des carbonari, des transtévérins ; les cardinaux et les papes restent toujours les mêmes, l’émeute romaine, l’armée allemande n’ont pas changé ; la bourgeoisie est aujourd’hui sacrifiée comme elle l’était le jour du supplice d’Arnaldo. Le moine de Brescia, qui vient annoncer la doctrine d’Abélard, son maître, c’est la révolution française agitant la Romagne ; on espère que les villes lombardes se ligueront pour venger l’outrage de Barberousse et repousser les armées étrangères : c’est encore aujourd’hui une des espérances de l’Italie. Les Romains du XIe siècle ne voulaient d’autre roi que Dieu, et les carbonari du XIXe attendent encore le règne du Christ, du prophète de l’égalité. — M. Nicolini a eu les honneurs d’une visite domiciliaire, tandis que l’édition de sa tragédie était enlevée en deux jours et accueillie avec des transports de joie dans l’Italie centrale. C’était la première fois, dans la péninsule, que, sous les yeux d’une censure absolutiste, sans recourir au voile de l’anonyme, un poète portait le défi à la papauté, à l’Autriche et aux principes de toutes les cours italiennes.