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semblait, au contraire, appelé à donner à la moderne rêverie et au monde intérieur son expression la plus suave et la plus ample, la plus enchanteresse et la plus harmonieusement sensible. M. de Lamartine, tel que ses premières œuvres le révélaient, et que rien depuis ne l’a pu effacer encore, était le plus sublime des rêveurs, de ceux qui exhalent et qui chantent leur ame. L’un et l’autre se trouvaient si éloignés à leur point de départ, qu’ils semblaient vraiment ne devoir jamais se croiser. Nous les verrons, au commencement de 1830, s’aborder, se saluer une première fois avec une courtoisie toute chevaleresque, en attendant que plus tard ils se rencontrent face à face, la haute rêverie prétendant à n’en plus être et aspirant à l’action. Quoi qu’il en soit, tous les deux ils représentent, comme deux chefs, les deux grands instincts et les deux principaux courans de ce siècle, duquel on a pu dire tour à tour qu’il est un siècle d’action et un âge de rêverie ; une époque vague, sceptique, et une époque positive. Ce parallèle, on le sent, avec ses contrastes, avec ses contacts aussi, serait fécond, mais délicat à poursuivre ; nous le posons seulement, et nous passons.

M. Thiers était nouvellement arrivé à Paris en septembre 1821. Nous avons la date précise dans une page d’album écrite de sa main sous ce titre : Arrivée d’un jeune méridional à Paris ; c’est une description de ses premières et confuses impressions à une première vue, c’est sa satire à lui des Embarras de Paris :


« Bientôt courant dans les rues, l’impatient étranger ne sait où passer. Il demande sa route, et tandis qu’on lui répond, une voiture fond sur lui ; il fuit, mais une autre le menace. Enfermé entre deux rues, il se glisse et se sauve par miracle. Impatient de tout voir, et avec la meilleure volonté d’admirer, il court çà et là. Chacun le presse, l’excite, en lui recommandant un objet ; il voit pêle-mêle des tableaux noircis, d’autres tout brillans, mais qui offusquent de leur éclat ; des statues antiques, mais dévorées par le temps ; d’autres conservées et peut-être belles, mais point estimées par un public superstitieux ; des palais immenses, mais non achevés ; des tombeaux qu’on dépouille de leur vénérable dépôt, ou dont on efface les inscriptions ; des plantes, des animaux vivans ou empaillés ; des milliers de volumes poudreux et entassés comme le sable ; des tragédiens, des grimaciers, des danseurs. Au milieu de ces courses, il rencontre une colonnade, chef-d’œuvre de grandeur et d’harmonie… C’est celle du Louvre… Il recule pour pouvoir la contempler, mais il heurte contre des huttes sales et noires, et ne peut prendre du champ pour jouir de ce magnifique aspect. On déblaiera ce terrain, lui dit-on, etc., etc. — Quoi ! se dit l’enfant nourri sous un ciel toujours serein, sur un sol ferme et sec, et au milieu des flots d’une lumière brillante, c’est ici le centre des arts et de la civilisation ! Quelle folie aux