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avons vu depuis notre liberté étouffée, notre patrie envahie, nos héros fusillés ou infidèles à leur gloire, n’oublions jamais ces jours immortels de liberté, de grandeur et d’espérance ! »


Malheur à qui, jeune et né dans les rangs nouveaux, n’a pas senti un jour, en lisant cette page, un battement de cœur et une larme ! Notez bien cette pensée : « Il n’y a que des momens dans la vie des peuples comme dans celle des individus ; » cela ne rappelle-t-il pas la belle description de la vallée d’Argelez vue de Saint-Savin, par où M. Thiers a débuté, et le sentiment tout pareil qui la termine, sentiment de l’apparition fugitive du beau et du bien qui passe avec l’éclair ? Il y a là comme une mélancolie rapide qui ajoute à l’émotion heureuse, et qui se mêle, pour l’aiguiser, à l’ivresse de la gloire non moins qu’à celle du plaisir. Ces organisations du midi ont plus que d’autres le secret, en toute chose, de la brièveté de la vie, comme elles en ont plus vive l’étincelle : Carpe diem.

Le style de cette histoire, et en général le style de M. Thiers, est ce dont on se préoccupe le moins en le lisant ; il vient de source, il est surtout net, facile et fluide, transparent jusqu’à laisser fuir la couleur. L’auteur ne raffine jamais sur le détail, et on ne s’arrête pas un instant chez lui à l’écrivain. Sa pensée sort comme un flot, que suit un autre flot : de là parfois quelque chose d’épars, d’inachevé dans l’expression, mais que la suite aussitôt complète. En y réfléchissant depuis, l’historien a cherché à se faire la théorie de sa manière, Il dit en riant qu’il a le fanatisme de la simplicité ; mais, bien mieux, il en a le don et l’instinct irrésistible. Il croit volontiers qu’en histoire les modernes ne doivent viser qu’au fait même, à l’expression simple de leur idée : moindres que les anciens à tant d’égards, ils sont plus savans, plus avancés dans les diverses branches sociales, obligés dès-lors de satisfaire à des conditions plus compliquées, et leur principal besoin, en s’exprimant, est d’autant plus d’être clair, net et de tout faire comprendre. C’est aussi en ce sens qu’ils ont à ressaisir peut-être leur originalité la plus vraie. Il y a bien des manières sans doute d’écrire dignement l’histoire ; mais, dans les manières plus curieuses de forme, il court risque de se glisser quelque imitation, quelque pastiche de l’antiquité. Voltaire y échappe entièrement, M. Thiers aussi. Dans son Histoire de l’Empire, il s’est efforcé de joindre à ses qualités simples celle qui y mettrait le relief et le cachet, la concision. Arriver à être court en restant facile et sans cesser d’être abondant par le fond, ce résultat obtenu résumera la perfection de sa manière.