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se faisait la traite, et l’autre la possession des établissemens d’où la France tirait des gommes, de l’or, des cuirs et du morphil. L’administration de Saint-Louis pouvait désormais concentrer ses efforts sur le défrichement d’un magnifique pays trop long-temps oublié, et nouer de vastes relations avec les tribus intelligentes du Foulah et des Mandingues. Si telle fut la pensée du ministère, la compagnie du Sénégal ne la comprit pas ou ne se sentit pas le courage de l’exécuter ; elle ne vit pas, malheureusement pour elle et pour la métropole, que le temps était venu de tourner ses regards vers l’intérieur des terres et de recueillir toutes les gommes des forêts vierges, précieuses oasis au milieu des sables ; elle ne sut ni profiter du beau fleuve qui parcourt le désert, ni protéger les nègres de la rive gauche, qui lui demandaient secours contre les Maures. Bientôt la révocation de l’édit de Nantes et les persécutions religieuses entraînèrent l’exil de plusieurs associés, et les pertes occasionnées par la guerre achevèrent de jeter la compagnie du Sénégal dans une situation tellement critique, qu’en 1694, après douze années d’existence, elle vendit ses établissemens et l’exploitation de son privilège à une nouvelle association pour la modique somme de 300,000 livres tournois.

La troisième compagnie royale du Sénégal obtint que son privilège fût porté à trente ans ; mais elle ne fut pas plus heureuse que la précédente, et, malgré la remarquable habileté de M. Brué, l’administrateur le plus éclairé qu’ait eu la colonie, la société, accablée de dettes et de procès, vendit forcément ses concessions à une quatrième compagnie, au prix de 240,000 fr. M Brué consentit à se charger de la direction des affaires de cette association. Grace à sa prudence et à sa fermeté, l’administration put non-seulement réaliser des profits considérables, mais former de nouveaux comptoirs et augmenter l’importance de celui de Galam, dont les fortifications commandaient le Haut-Sénégal.

L’histoire du Sénégal ne présente guère qu’une suite de révolutions administratives. Les compagnies se succèdent rapidement, et avec elles se modifie sans cesse la face des affaires coloniales. Nous venons de voir la quatrième compagnie réaliser d’importans bénéfices, grace à l’habileté de M. Brué ; bientôt cependant cette compagnie devait faire place à une société nouvelle. En 1718, la grande compagnie des Indes, qui venait d’être définitivement constituée, offrit à la compagnie du Sénégal de lui acheter tous ses droits, moyennant 1,600,000 livres tournois. En rapprochant ce prix de celui de 240,000 francs que la dernière administration avait elle-même payé à la troisième compagnie, on peut juger de l’état florissant de la colonie et de l’accroissement qu’avait pris le commerce sous la direction de M. Brué. La compagnie des Indes réunit aux anciens privilèges déjà concédés par le roi la jouissance du commerce jusqu’au cap de Bonne-Espérance, et M. Brué resta commandant-général de la colonie jusqu’en 1720.

Cette belle époque du Sénégal montre ce que la France peut retirer de