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musqué scie le choux palmiste, l’écureuil ronge le jujubier ; la colombe murmure, le chat-tigre glapit, les oiseaux chantent. A chaque instant, des corps sombres passent dans les clairières, remuent entre les branches, et font onduler les plantes. Quelquefois un sourd rugissement monte de la vallée ; aussitôt la forêt tout entière reste silencieuse et comme immobile ; la brise seule frémit dans le feuillage ; peu à peu la vie renaît, un météore lumineux jaillit d’une liane en fleur : c’est le folio, le rubis-topaze, qui se poursuivent ; des coups de bec sonores frappent de nouveau les arbres ; des fruits, des graines entr’ouvertes tombent, et le tumulte recommence pour cesser encore aux premiers sons de cette plainte formidable qui naguère a suspendu tous les souffles, a comprimé tous les ébats.


III. - LES MAURES ET LES NEGRES AU SENEGAL

Écrasée par cette nature magnifique et terrible, la race européenne rencontre partout au Sénégal des obstacles qui défient son activité. Les populations blanches ont cependant maintenu leur influence sur deux races bien distinctes, la race noire et la race arabe. Chacune de ces races occupe une des rives du fleuve. Examinons d’abord l’état des tribus maures, qui représentent la race arabe dans notre colonie du Sénégal. Ce sont là les plus redoutables ennemis de l’influence européenne.

La rive droite du Sénégal, depuis Saint-Louis jusqu’à Bakel, est parcourue par trois grandes tribus arabes, les Trarzas, les Braknas et les Dowiches. Les Trarzas occupent l’espace compris entre la rivière Saint-Jean et le fleuve, à quarante lieues au-dessus de Saint-Louis ; le pays des Braknas s’étend, au nord-est du comptoir, à une profondeur inconnue ; les Dowiches dominent le désert du côté de Bakel. Nous parlerons peu des Maures, qui sont bien connus depuis la conquête d’Alger. Leur intelligence est remarquable ; voleurs, perfides, rusés, ils jettent le trouble parmi les noirs, qu’ils attaquent toujours avec avantage, et leur fine politique a plus d’une fois trompé l’administration française. Ce peuple, malgré l’état abject où il est maintenant tombé, est vraiment fait pour commander. Si, au lieu de continuer une lutte inutile à Alger, ou de se disperser dans les solitudes du Sahara, ces descendans des Maures d’Espagne se réunissaient, comme autrefois, pour tenter la conquête d’un ciel plus heureux ; si tous, abandonnant, les uns une patrie perdue, les autres des sables stériles, franchissaient le Sénégal n’émigraient vers le sud à la recherche de ces pays arrosés de ruisseaux, dont leurs poètes voyageurs vantent les charmes, peut-être les fiers instincts des Abencerrages se réveilleraient-ils à la vue des prairies, des forêts et des fleuves qui leur manquent.

Une erreur généralement répandue, c’est de croire que chaque tribu mauresque récolte ses gommes dans des forêts dépendantes de son territoire. Ainsi, selon les statistiques de la marine, les Trarzas posséderaient les forêts