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du Sahel et d’El-Hébiar, et les Braknas, celle d’El-Satak, d’où seraient tirées les gommes portées aux escales des marchands européens. Ces forêts n’existent pas, et leurs noms sont ceux des puits de l’intérieur aux environs desquels se récolte la gomme. Un puits, richesse du désert, sert ordinairement à désigner le pays qu’il alimente ; c’est là que s’établissent les princes, les guerriers et les marabouts, pendant que leurs tributaires et les esclaves errent dans les plaines où croît isolément l’acacia qui fournit la gomme. Cet arbre très rare, selon Caillé, sur les bords du Sénégal, n’est pas le mimosa gummifera des botanistes, et se rapproche davantage de l’acacia de France. Il n’existe que vers les parties élevées, et ne se rencontre jamais dans les terrains argileux ou d’alluvions, mais sur un sol sablonneux et sec. Les arbres n’ont pas de propriétaires particuliers, et tous les Maures libres peuvent envoyer leurs captifs à la récolte. Dès que le maître possède une certaine quantité de gomme, les esclaves l’enfouissent profondément et la recouvrent de paille, de peaux de bœuf et de terre, ayant soin, comme les trappeurs et les Indiens d’Amérique, de fouler les sables autour des caches, afin de tromper l’avidité des pillards qui rôdent sans cesse sur les traces des familles pour découvrir les silos abandonnés. Les travailleurs laissent une marque à un arbre, aux rochers, et s’éloignent jusqu’à l’époque de la traite ; alors la récolte est transportée aux escales, dans de grands sacs de cuir, par des chameaux et des bœufs. Chaque peuplade maure campe à une escale distincte ; l’escale des Darmankous, à 25 lieues de Saint-Louis, appartient aux Darmankous, tribu de la nation des Trarzas ; l’escale du Désert, à 40 lieues de Saint-Louis, est fréquentée par les Trarzas, et l’escale du Coq, à 60 lieues de Saint-Louis, par les Braknas. Les Dowiches portent leur gomme au poste de Bakel. Ces escales sont de vastes plaines submergées lors des inondations. Dès que les eaux se sont retirées, une vigoureuse végétation couvre ces bords arides, un instant fécondés par le limon que le courant charrie et dépose sur les rives. Aussitôt les Arabes envoient leurs captifs ensemencer les terres, qui semblent se hâter de produire des herbages et le mil, nourriture des habitans. Quand les pâturages ont reverdi, les Maures se mettent en route vers le fleuve avec leurs familles et leurs troupeaux ; c’est l’époque de la traite, moment où Saint-Louis présente l’aspect le plus animé.

On ne se souvient pas sans charme des scènes riantes qui marquent au Sénégal le retour de cette saison d’activité commerciale. C’est alors que, pour atteindre les marchés des Maures, on entreprend sur le fleuve des voyages qui révèlent à l’Européen toutes les splendeurs de la terre africaine. Les matelots noirs, les patrons, mettent les navires à flot, calfatent les bordages, raccommodent les voiles, embarquent les étoffes de Guinée, les verroteries, le tabac, les armes et les ustensiles de fer. L’heure du départ arrive, le canon résonne, mille cris d’adieu retentissent, les femmes dansent et frappent des mains sur la plage ; les laptots travaillent en chantant, lèvent l’ancre, démarrent les bateaux, et la petite escadre vogue en désordre sur le fleuve. Tant que le vent est favorable, les navires se servent des voiles ; mais