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les Sénégalais aiment la musique. Fréquemment, le chasseur européen rencontre loin des bourgades un nègre solitaire accompagnant, sur une guitare à trois cordes, un air éclatant ou mélancolique, dont le chanteur improvise les paroles pour charmer ses douleurs ou exhaler sa joie. Presque tous les noirs composent ainsi facilement et non sans grace de longs poèmes sur les évènemens de leur vie ; le rhythme en est triste. Le pauvre musicien, habitué aux bruits monotones de la mer qui se brise le long des grèves et aux soupirs du vent dans les rameaux, imite, sans le savoir, leur plaintive harmonie. Combien de fois l’aspirant de marine, commandant sa chaloupe armée de laptots, n’a-t-il pas été le héros d’une complainte que les canotiers redisaient en chœur, bondissant sur les bancs, secouant l’aviron, sans jamais troubler la nage prescrite ! Quel est l’officier qui, malade, miné par la fièvre, ne s’est pas endormi aux doux refrains d’une voix dolente, murmurant son nom à chaque couplet ? Harassé par la chaleur, l’Africain a peu de besoins ; il n’éprouve ni l’aiguillon de la faim, ni l’atteinte du froid, ces deux énergiques stimulans du travail chez les classes malheureuses du Nord. Le mil, récolté sans fatigue par l’esclave, et la pêche, si abondante sur les côtes, lui suffisent. Il porte à Saint-Louis et à Gorée les plus beaux poissons, les produits de sa chasse, le lait des troupeaux, les œufs, les poules, les canards et les porcs. En échange, il trouve un fusil, de la poudre, du plomb, une pagne bleue, un collier pour sa fiancée, et il retourne satisfait vers les libres déserts qu’il préfère aux palais des Européens, où, depuis le maître jusqu’au captif, nul ne repose un instant.

La France peut exercer, on le voit, sur ces populations assoupies, une active et salutaire influence. D’autres considérations appellent sur notre belle colonie tout l’intérêt de la métropole. La position imprenable de Saint-Louis, au milieu d’un fleuve que de faibles navires peuvent seuls franchir, et non sans danger, doit nous rendre précieuse une possession qui ne saurait nous être facilement enlevée en temps de guerre. Dans l’état secondaire où est encore reléguée en France la marine militaire, les colonies n’ont aucun secours réel à en attendre ; le sort de ces îles lointaines n’est donc assuré qu’autant qu’elles auront des bras pour se défendre, mais surtout des ressources Intérieures qui leur permettent de se suffire à elles-mêmes et de supporter un long blocus sans être affamées. La Martinique, la Guadeloupe, Bourbon, ne récoltent que des sucres ; rochers isolés sur les mers, tous tirent leur subsistance du dehors, et sont obligés de se rendre à l’ennemi maître des attérages. L’expérience des malheurs passés a suffisamment prouvé aux puissances maritimes qu’elles doivent maintenant porter leurs vues de colonisation sur des continens ou des îles fécondes capables de nourrir les habitans et la garnison sans le secours immédiat de la métropole, laquelle conservera dès-lors toute sa liberté d’action. Parmi les cinq pauvres colonies qui nous ont été rendues, Saint-Louis a l’avantage d’être non-seulement un point inexpugnable, mais encore d’avoir ses vivres assurés par la terre d’Afrique qu’il