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Freyschütz du chevalier Maria de Weber, le Wolfsschlucht, où le surnaturel du naturel se rapproche, où les puissances du destin révèlent à la race mortelle le mystère de leur existence. Voici les pierres et les ossemens que le chasseur endiablé rassemble en cercles magiques ; voici les rocs qu’il frappe de son coutelas en évoquant Samiel : Samiel, l’esprit de ces fondrières et de ces bois, le sombre génie de la caverne et de la hauteur, le démon de la chasse, vêtu de rouge et de vert ! Voyez-vous cette stalle de pierre où vous êtes assis, c’est là que Weber se tenait lorsque la meute fantastique passa une fois devant lui. Les vents déchaînés s’engouffraient dans les crevasses de la montagne, aulnes et sapins roulaient en craquant dans les abîmes, et par ce temps du diable l’infernale chasse allait son train, aboyant, hurlant, maugréant, franchissant ravins et précipices à la lueur de la foudre, au claquement des fouets, au mugissement des buccins répercuté par les mille échos du gouffre. Quelle musique, Dieu puissant, et quel orchestre ! Et qu’un simple musicien, qu’un pauvre chef d’orchestre du Holstein ait pu surprendre un jour cette gigantesque symphonie et transcrire, en nous les transmettant, dans la langue des hommes, tant de voix et de concerts qui, jusque-là, n’avaient été notés qu’au livre mystérieux de la nature ! — Saluons donc ce gouffre du Wolfsschlucht, impérissable sanctuaire de la muse romantique du Nord, cette place immortalisée par le génie de Weber. Ici tout vous parle de lui et de son œuvre ; le vent vous apporte avec les âpres senteurs de ces montagnes comme le vague bruit d’un cor lointain qui ne s’endort jamais. Ce daim qui s’échappe là-bas au tournant de la clairière, ce daim porte encore à son flanc la trace d’une balle enchantée ; ce hibou gravement renfrogné dans sa simarre de plumes songe aux incantations de Caspar, et combien de fois le torrent qui bouillonne à vos côtés n’a-t-il pas roulé au clair de lune le fantôme échevelé d’Agathe ! Agathe, Max, Caspar, Samiel, blanches figures, sombres apparitions ! vous seules animez, vous seules peuplez les solitudes de ces montagnes, où l’étranger ne peut faire un pas sans vous rencontrer, où quiconque saura le chef-d’œuvre par cœur entendra soudain et bien mieux que dans aucune salle d’opéra de l’Europe vos accens mâles et puissans, dont l’aspect morne de ces lieux et l’odeur de fenouil qu’on y respire aviveront encore la poétique et terrible expression.

Ce pittoresque sauvage évoquait à mon esprit toutes les mystérieuses incantations du Freyschütz. « Au moment où le beffroi du vieux cloître annonçait en douze coups, dans le silence lugubre de minuit,