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l’on veut régler définitivement la traite. N’oublions pas toutefois que l’association, la régularité forcée des échanges, qui, dans ses formes, blesse en France les principes de liberté, ne doit pas être jugée d’après les idées européennes. Les faits ont assez prouvé que la concurrence est désastreuse, tandis que le privilège, le monopole, comme on veut l’appeler, en arrêtant le prix de la guinée, oblige les traitans, dans leur intérêt, dans celui des négocians, et par conséquent dans l’intérêt même des ports, à donner leurs marchandises non-seulement sans perte, mais avec un gain qui leur permet de payer leurs créanciers de Saint-Louis, lesquels soldent à leur tour les maisons d’Europe. Il faut se rappeler la contrée sauvage où, après tant d’efforts pour ramener le commerce aux règles si simples et si faciles qui le régissent dans les pays civilisés, l’administration s’est toujours vue obligée d’obéir aux mesures exceptionnelles que les mœurs, les traditions, l’habitude, le caractère des Arabes et des noirs, la nécessité enfin d’employer les traitans, lui présentaient comme les seules chances de salut.

S’il est prouvé que le caractère des traitans ne comporte pas une entière liberté dans leurs transactions avec les Maures, s’ils sont trop faibles, comme ils l’avouent naïvement du reste, pour résister à l’attrait d’échanger à quelque prix que ce soit, et si, malgré ces défauts, les marchands du Sénégal ne peuvent se passer de ces courtiers, excellens quand la loi les commande, dangereux dès qu’ils sont livrés à eux-mêmes, faudra-t-il donc bouleverser la colonie, irriter la population indigène, risquer enfin de perdre le commerce des gommes, plutôt que d’adoucir ou de repousser même, s’il le faut, un principe irréalisable ? Espérons que le gouvernement ne laissera pas long-temps un tel problème sans solution, et si une sage direction est donnée à la traite, si les richesses naturelles sont enfin exploitées par la population noire appelée dans une voie meilleure, le Sénégal peut redevenir un jour ce qu’il a été déjà, le plus précieux de nos établissemens coloniaux.


CHARLES COTTU, lieutenant de vaisseau.