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Hegel était détruite par des hommes qui se vantaient de l’avoir rendue accessible à tous, beaucoup trop accessible en effet, puisqu’on marchait désormais sur ses débris. Ces hommes s’appelèrent la jeune école hégélienne. Ils étaient aussi emportés, aussi farouches que leurs devanciers avaient été badins et prétentieux. Ce furent les montagnards ; plus d’une exécution violente signala leur avènement, et si les prétendus girondins de la jeune Allemagne n’y périrent pas tous, s’est que leur élégante frivolité les sauva. Enfin, il y a quatre ans, on vit se lever plusieurs poètes politiques, les uns animés d’une inspiration véritable, les autres appuyés seulement sur une rhétorique médiocre, qui formèrent comme un troisième groupe assez distinct, quoique plus d’un parmi eux se rattache à la jeune école hégélienne, pet ait reçu ses encouragemens. Voilà quelle est la situation présente, voilà l’aspect général des mouvemens de l’esprit public au-delà du Rhin.

Du camp de M. Charles Gutzkow à ce groupe de poètes politiques dont le chef est M. Herwegh, la distance est grande. Les écrivains de la jeune Allemagne ont une répugnance invincible pour ceux qui les ont remplacés. Le critique le plus distingué de cette école, M. Gustave Kuhne, contrôle chaque jour avec sévérité les productions nouvelles de M. Ruge, de M. Bruno Bauer, de M. Feuerbach. M. Mundt a exprimé bien souvent en termes très nets l’aversion qu’il éprouve pour ces prétendus disciples de Hegel, et M. Gutzkow, il y deux ans, dans ses Vermischte Schriften, traitait fort amèrement M. Hoffmann de Fallersleben et ses confrères. Eh bien ! voici un évènement assez inattendu : un des écrivains qui ont eu le plus d’influence sur la jeune Allemagne, M. Henri Heine, vient de se joindre par un vif et brillant manifeste à la phalange des poètes politiques. C’est lui qui, il y a quinze années, avait commencé et hâté cette révolution morale dont j’ai rappelé les principales circonstances. Avec quelle ironie sans façon, avec quelle légèreté cavalière il interpellait ces graves écoles de philosophie, encore si imposantes alors ! Comme il sapait en riant les bases de l’édifice ! Il n’avait point de système, point de but déterminé : les partis politiques ne s’étaient pas encore formés ; sa muse n’était souvent qu’un oiseau moqueur, mais comme elle sifflait gaiement sur sa ranche ! À ce coup de sifflet aigu et goguenard, la pompeuse décoration de l’ancienne société disparut ; on vit commencer ces rapides changemens de scène que j’indiquais tout à l’heure, et M. Heine put croire qu’il avait tout conduit. Il le proclama même assez haut, si je me souviens bien. Pendant quinze ans, il a assisté, le sceptique railleur,