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à ce singulier spectacle ; il le regardait en souriant comme un fin connaisseur, disant un mot à celui-ci, à celui-là, écrivant une page dans la Gazette d’Augsbourg, un sonnet dans les Annales de Halle, prenant enfin un vrai plaisir de dilettante à ces émotions raffinées qu’il se donnait. Aujourd’hui, cependant, voilà qu’il revient se mêler à la lutte. Que va-t-il apporter avec lui ? saura-t-il diriger ces troupes sans discipline ? leur donnera-t-il par son talent une force nouvelle ? ou plutôt, hélas ? car c’est là son jeu le plus cher, ne va-t-il pas brouiller toutes choses et augmenter une confusion déjà si tumultueuse ?

Il est permis de croire que l’entrée de M. Henri Heine dans le camp belliqueux a été accueillie par des sentimens bien divers. La surprise, j’en suis sûr, a été grande d’abord, puis la crainte et la joie, l’orgueil et l’inquiétude, ont dû se tempérer mutuellement. Il y a quelques années, avant cet avènement hautain et bruyant de la muse politique, M. Heine était vraiment le poète des générations nouvelles. Depuis que l’école d’Uhland se taisait, l’auteur du Livre des chants s’était emparé des esprits, et comme une frivolité légère avait succédé à la sérénité du spiritualisme, cette poésie folle, capricieuse, impie, qui éclate à chaque page de ce brillant recueil, convenait merveilleusement à ces dispositions hostiles et les aiguillonnait encore. Cependant, en 1840, M. Herwegh, M. Dingelstedt et leurs amis émurent l’Allemagne de leurs chansons politiques. M. Heine parut dépassé, et peut-être l’oubliait-on déjà, lorsqu’il les rejoint d’un seul bond ; il entre dans le forum, il se jette dans la mêlée, et par les évolutions inattendues de sa capricieuse pensée, il trouble, il inquiète ses nouveaux amis, autant peut-être qu’il effraie ses adversaires. Tel est l’effet que viennent de produire au-delà du Rhin les Poésies nouvelles de M. Henri Heine.

C’est toujours un heureux évènement quand un poète revient à la pure poésie. M. Heine avait débuté, il y a plus de quinze ans déjà, par le Livre des Chants. Depuis cette époque, il avait inséré çà et là quelques vers dans les journaux, dans ses ouvrages de critique ou de voyage, dans son salon, et l’an dernier, un recueil littéraire d’une valeur médiocre, le Journal du Monde élégant, publiait en feuilletons son amusant et spirituel poème d’Atta troll. A vrai dire, il n’y avait là que des feuilles dispersées. Aujourd’hui c’est un livre, un livre nouveau, complet, une œuvre sur laquelle le poète semble fonder de grandes espérances, et où la muse vient rendre compte de son long silence à ceux qui l’avaient si bien accueillie. Qu’est-elle devenue en effet durant ces quinze années ? M. Heine a beaucoup écrit depuis ce temps, et tout