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Le ricanement de l’orgie a pris la place des larmes saintes des esprits immortels, et des vices prétentieux se sont couronnés eux-mêmes de la couronne des vierges. » Seulement, ce n’est pas Thécla ou Marguerite que M. Heine laisse railler ainsi par sa muse, ce sont ses propres créations ; il faut le défendre contre lui-même.

Après que cette folle bande a défilé devant nous, l’auteur nous donne ce qu’il appelle ses poésies de circonstance, Zeitgedichte. Ce n’est plus le poète des prairies en fleurs, ni le poète libertin qui m’impatientait tout à l’heure ; cette fois, c’est le journaliste, le causeur étincelant, l’humoriste hardi et capricieux. Vraiment, j’aime mieux que M. Heine revienne à cette inspiration qui lui a souvent réussi. La douceur des premiers chants était destinée, hélas ! à mettre en relief les impiétés qui allaient suivre, jeu cruel et par trop facile, qui attriste et impatiente le lecteur ! Je préfère ses fines satires qui ne cachent point leurs flèches. Nous pourrons bien tout à l’heure lui demander compte de ses trop spirituelles railleries et discuter la valeur de cet étincelant persiflage ; mais d’abord suivons-le aussi loin qu’il voudra. Or, le voilà qui s’assied bravement chez le bourguemestre, à l’université, au pied de la chaire du docteur hégélien, chez tel critique en renom, ou chez le poète, son confrère, que je plains de tout mon cœur. Les noms propres ne l’effraieront pas, tout au contraire. M. Heine est à l’aise dans cette tâche. Il n’est pas de moqueur plus joyeux, de confident moins discret, de combattant plus agile. Personne n’a un esprit mieux aiguisé pour cette escrime légère et cruelle qui va frapper tout un peuple à l’endroit le plus tendre. Personne mieux que lui ne sait découvrir et mettre en saillie le côté bouffon des choses sérieuses. Or, qu’y a-t-il de plus sérieux que l’Allemagne ? Par ma foi, nous allons rire.

Tantôt ce sera, en quelques traits vivement dessinés sur la muraille, le profil d’un docteur hégélien qui bat sa grosse caisse, ainsi parle M. Heine, et ce sont ses images que j’emploie. Tantôt c’est un conseil adressé à un ami « Quoi ! vous imprimez de pareils livres ! vous ne songez donc pas aux princes, aux prêtres et au peuple ? Ah ! cher ami, vous êtes perdu. Les princes ont de longs bras, les prêtres ont de longues dents, et le peuple a de longues oreilles. » Il y a ainsi chez M. Heine toute une série de sentences qu’on pourrait recueillir et qui composeraient à l’usage de la presse allemande un cours très amusant de diplomatie goguenarde. Il vient d’avertir ses amis ; tournez la page, il les complimente. C’est un billet adressé de Paris à quelque tribun de la jeune Allemagne : « J’apprends avec plaisir que vous avez renoncé