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entrent. Un silence de mort règne sous les voûtes. Çà et là brillent quelques lampes allumées, pour mieux faire ressortir la profonde obscurité des longues galeries. Il s’avance toujours le long des piliers jusqu’à l’endroit où étincellent, au milieu des cierges, l’or, l’argent, les pierres précieuses. C’est la chapelle où dorment les reliques des rois Mages. Singulier prodige ! il sont assis tous les trois sur leurs sarcophages de marbre, trois squelettes, affublés d’ornemens bizarres, avec leurs couronnes sur leurs crânes hideux, leurs sceptres entre leurs doigts décharnés, et exhalant à la fois une odeur de pourriture et d’encens. Tout à coup un des rois prend la parole et fait un long discours en trois points, expliquant au poète pourquoi il lui demande son respect, premièrement parce qu’il est mort, secondement parce qu’il est roi, troisièmement parce qu’il est saint. « La harangue, dit le poète, me toucha peu ; je lui répondis : Cela prouve seulement que tu appartiens au passé de trois façons. Allons ? tous les trois, partez ! Votre place est au fond de la tombe. Les trésors de cette chapelle seront consacrés au présent, à ceux qui vivent. La joyeuse cavalerie de l’avenir va camper ici. Allons, délogez ! car si vous ne partez de bonne grace, je vous ferai chasser à coups de massue. » Cela dit, il se tourne vers son compagnon, dont la hache jetait dans l’ombre de formidables lueurs. Le licteur s’approche, et gravement, froidement, sans pitié, il met en pièces les pauvres squelettes. « Chaque coup, ajoute l’auteur, retentissait sous les voûtes avec un bruit épouvantable. Je sentis des flots de sang couler de ma poitrine, et je m’éveillai en sursaut. »

NI. Heine a beau placer cette scène au milieu d’un rêve, une telle scène est odieuse, un tel rêve est impie. Il a beau trouver, en terminant, des paroles de commisération pour ses victimes et voir le sang couler de son cœur déchiré, cette invention a quelque chose de brutal qu’on ne saurait excuser. Je sens au fond de mon ame une aversion aussi franche que celle de M. Heine pour les restaurations du passé, pour le retour de la barbarie féodale ou monacale ; je ne demande pas mieux que de voir arriver gaiement, enseignes déployées, cette brillante cavalerie de l’avenir dont il parle, si cela signifie le progrès toujours plus rapide des idées de justice, de vérité, de liberté, le triomphe régulier de l’ère nouvelle que 89 a inaugurée dans le monde ; mais je ne veux pas que le poète, même dans un rêve fantastique, prépare la litière des chevaux sur les autels détruits, dans les chapelles outragées. Son licteur n’est pas un soldat de la société nouvelle ; c’est le représentant des vieilles rancunes scandinaves et germaniques