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explique ce que c’est que la guillotine ; il insiste complaisamment, avec une indifférence glaciale, avec un burlesque sang-froid, et n’a garde d’omettre aucun détail. L’empereur à la fin perd patience et traite son hôte de butor et de malappris ; le poète aussi se fâche, et rien n’est plaisant comme cet étrange dialogue : « Ma foi, monsieur Barberousse, dit-il en éclatant, je regrette les politesses que je vous ai faites. Vous n’êtes qu’une vieille fable. Nous saurons nous passer de vous. Les républicains riraient bien, s’ils voyaient à notre tête un fantôme du passé avec une couronne et un sceptre. Restez dans votre caverne. Tout bien considéré, nous n’avons pas besoin d’empereur. »

Continuons : nous arrivons à Minden, triste et noire forteresse. Il est nuit déjà, et les lourdes portes se referment derrière le voyageur, ainsi que les portes d’une prison. Il se sent triste comme Ulysse lorsque Polyphème roula son énorme rocher à l’entrée de la caverne. Les auberges de Minden sont aussi sombres que la ville ; le poète y dormira tristement, et les armes prussiennes qu’il aperçoit sur le fond du ciel de lit lui inspireront des rêves lugubres. L’aigle noire, l’aigle au bec crochu, viendra lui manger le cœur. Partons vite de Minden. Nous voici dans la petite principauté de Buckebourg, dont le poète emporte environ la moitié à la semelle de ses souliers. Nous sommes bientôt chez le roi de Hanovre, chez ce lord tory, condamné à gouverner une province d’Allemagne et qui regrette la vie de Londres ; pour se désennuyer, il daigne exécuter de temps à autre quelques coups d’état, et faire chauffer des remèdes pour ses chiens malades. Enfin, nous entrons à Hambourg, et ce sera le terme de notre voyage.

A moitié ruinée, à moitié rebâtie, la ville est bien triste à voir. Le voyageur n’y retrouvera pas les lieux auxquels se rattachent les souvenirs de sa jeunesse. Hélas ! ce sont les seules plaintes vraiment sincères qui se soient échappées de son cœur depuis le Rhin jusqu’à l’Elbe. Où est la maison de celle qui lui a souri la première ? Qu’est devenue l’imprimerie où il a fait imprimer les Reisebilder ? Mais il semble que le poète ait honte de son émotion, et déjà il a retrouvé ce sourire sardonique dont il abuse trop souvent. Il se fait conter tous les détails de l’incendie ; il écoute avec une attention religieuse, il recueille toutes les plaintes, et il y en a de singulières. « Les églises ont été dévorées par les flammes. La bourse a été brûlée, la bourse où nos pères, durant des siècles, ont trafiqué les uns avec les autres, le plus honnêtement qu’ils ont pu ; mais Dieu soit loué ! on a ouvert des souscriptions pour nous jusque dans les pays les plus éloignés. C’est une bonne affaire en définitive, et qui a bien rapporté huit millions. On nous