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aveuglés, ivres enfin comme cette grave Hammonia qu’il a changée en bacchante.

Voici le dernier chant. Le poète est plus calme, il s’adresse à la jeunesse, il lui dira un jour ce qu’il a vu chez Hammonia, mais quand le règne de l’hypocrisie sera terminé. Laissons venir les jours heureux où l’on parlera avec franchise ; laissons grandir la race meilleure qui pourra tout entendre.

Jam nova progenies coelo demittitur alto.


Cette génération est née, et son jour n’est pas loin. Du reste, tout ce que le poète vient de chanter ne doit pas nous causer d’effroi, ni surtout nous donner de lui une opinion défavorable. Son cœur est plein d’amour, et ce sont les graces elles-mêmes qui ont accordé sa lyre ; cette lyre est d’ailleurs celle de son ancêtre, c’est la lyre d’Aristophane, le favori des muses. Dans ce dernier chapitre, qui aura peut-être effrayé le lecteur, il n’a fait qu’imiter et modifier légèrement la conclusion des Oiseaux, la meilleure comédie du poète athénien. M. Heine nous déduit ainsi tous les argumens de son plaidoyer dans une conversation familière, élégante, qui repose un peu après le bruit de la bacchanale. Puis il continue à parler d’Aristophane en vers charmans, avec une grace parfaitement appropriée. S’il préfère les Oiseaux, il aime pourtant les Guêpes, et remarque que cette pièce a été récemment traduite en allemand et jouée sur le théâtre de Berlin, par ordre du roi. Le roi de Prusse aime les Guêpes d’Aristophane, mais bien a pris à Aristophane d’être né à Athènes il y a deux mille ans ; le roi de Prusse aurait moins de goût pour lui, s’il vivait maintenant à Berlin. Là-dessus, M. Heine s’interrompt tout à coup, et, se tournant vers le roi, il lui adresse ces vers hautains qui terminent son poème :


« O roi ! je ne te veux point de mal et je te donnerai un conseil : honore les poètes des temps passés, mais ménage les poètes de ton siècle.

« N’offense pas les poètes vivans ; ils ont des flammes et des armes plus terribles que la foudre de ce Jupiter qu’ils ont créé.

« Offense les dieux, les anciens et les nouveaux, toute la clique de l’olympe et là haut le grand Jéhova. — Seulement, n’offense pas les poètes

« Les dieux, je le sais, punissent rigoureusement les méfaits des humains. Le feu de l’enfer est assez ardent. C’est là qu’on doit cuire et rôtir.

« Pourtant il y a des saints dont les prières arrachent le pécheur aux flammes. Quelques aumônes aux églises, quelques messes, et l’on obtient leur suprême intervention.

« Et puis, à la fin des siècles, le Christ doit venir, il brisera les portes de