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car avant Jésus-Christ il était condamné à l’erreur et au vice. Depuis Jésus-Christ, l’homme, il est vrai, peut connaître et lui-même et son auteur : mais comment ? Par la grace, et par la grace seule. Si l’homme en effet, par ses moyens naturels, pouvait arriver à connaître l’homme et Dieu, la grace, entendez toujours la grace janséniste, serait superflue. Il ne faut pas cela, à tout prix ; il faut donc soutenir que sans la grace l’homme ne peut savoir de Dieu non-seulement quel il est, mais qu’il est. Ce n’est ni la raison ni le sentiment, nulle lumière naturelle, c’est le feu[1] de la grace qui fait pénétrer dans le cœur de l’homme la certitude, l’idée de la grandeur de l’ame et l’idée de Dieu. Le Dieu qui nous apparat alors n’est pas le Dieu des savans et des philosophes ; c’est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. L’homme n’est pas capable de la vraie vertu par l’emploi légitime de sa liberté naturelle ; mais il le peut devenir par la transfiguration de cette liberté en une puissance divine qui agit en nous, souvent malgré nous, et dont les œuvres ne nous appartiennent pas. Détruire l’homme naturel, l’abêtir[2], c’est-à-dire lui ôter cette raison et cette liberté dont il se vante comme d’un privilège, le remettre aveugle et soumis entre les mains de la grace de Jésus-Christ et du directeur qui le représente[3], tel est le seul moyen de le conduire à la vérité, à la vertu, à la paix, au bonheur. Cela étant, évidemment la philosophie ne vaut pas une heure de peine, et la mépriser, c’est vraiment philosopher.

Pascal a été et il devait aller jusque-là ; il devait pousser jusqu’à cette extrémité les principes qu’il avait embrassés, ou il aurait cru les abandonner : il eût été à ses propres yeux un disciple pusillanime de la grace.

Quand on a ainsi pénétré dans le cœur du jansénisme, on ne peut s’empêcher de sourire en voyant les efforts des modernes partisans de Pascal pour le défendre de l’accusation de scepticisme. Mais cette accusation, c’est son honneur : c’est votre défense qui lui serait une accusation d’infidélité aux deux grands principes du néant de la nature humaine et de la toute-puissance de la grace. Pour ces deux principes, Pascal et sa sœur auraient donné volontiers un peu plus que tous les systèmes de philosophie : ils auraient été heureux de donner leur sang. Faibles esprits, qui ne connaissez ni Port-Royal ni le XVIIe siècle ! vous ne vous doutez pas que vos outrageantes apologies enlèvent à Port-Royal son vrai caractère, et au pénitent de M. Singlin,

  1. Voyez le papier trouvé sur Pascal, et que nous avons rappelé dans notre premier article, p. 1033.
  2. Ibid., p. 1031.
  3. Ibid., p. 1033.