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très peu faits pour se comprendre. L’un, essentiellement créateur, invente sans cesse et partout des principes nouveaux ; il embrasse et domine toutes les parties des connaissances humaines ; il aspire au système du monde, il l’atteint presque[1]. L’autre excelle dans les procédés scientifiques et dans la solution accomplie de problèmes particuliers. Pascal a perfectionné et fixé à jamais la langue de la raison, mais c’est Descartes qui l’a trouvée. La tête de Pascal n’est pas moins forte que celle de Descartes, mais elle est moins ample. Livré de bonne heure à l’étude des mathématiques et de la physique, on ne voit pas que Pascal ait jamais donné une grande attention à la philosophie proprement dite. Il ne paraît ni dans sa vie ni dans ses ouvrages aucune trace d’études métaphysiques. Il avait lu sans aucun doute la Méthode et les Méditations, et il en avait retenu le grand principe de la pensée, comme signe et preuve de l’existence. Mais Roberval lui-même n’avait pas osé repousser ce principe[2] ; il était manifestement dans saint Augustin, et, en l’admettant, Pascal n’avait fait que suivre l’opinion générale. La logique seule l’occupa sérieusement, et encore, dans la logique, la définition qui appartient aux mathématiques autant qu’à la philosophie. Platon et Aristote lui sont inconnus, les scholastiques encore plus, s’il est possible ; les deux seuls philosophes qu’il connaisse bien et dont il est évidemment imbu, c’est Montaigne, avec son disciple Charron, c’est-à-dire deux sceptiques. Le scepticisme préparait merveilleusement les voies au dogme terrible du néant de la nature humaine ; et d’un autre côté ce dogme appelait et confirmait le scepticisme. Quand la grace pénétra dans l’esprit de Pascal, le trouvant vide de toute grande doctrine philosophique, elle l’envahit aisément tout entier : c’est dans l’abîme du pyrrhonisme que la foi janséniste vint le surprendre, et, au lieu de l’en tirer, elle l’y enchaîna.

Il n’en fut pas, il n’en pouvait pas être ainsi de Nicole et d’Arnauld. L’un et l’autre possédaient un fond d’études et de connaissances philosophiques, qui résistèrent à l’action du jansénisme.

Nicole avait étudié avec distinction la philosophie à l’Université de

  1. Il a le premier énoncé le problème que Newton a résolu. « Descartes, dit Laplace, essaya le premier de ramener la cause du mouvement céleste à la mécanique. » Système du Monde, liv. V, chap. V.
  2. Voyez notre article : Roberval métaphysicien, Journal des Savans, 1845.