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Paris. Il y fut reçu maître ès-arts en 1644. Arrêté dans sa carrière théologique et ecclésiastique par les troubles qu’excitèrent en Sorbonne les cinq propositions célèbres de M. Cornet, lié de bonne heure avec Port-Royal, où il avait deux tantes religieuses, dont l’une, la mère Marie des Anges Suireau, avait été abbesse et réformatrice de Maubuisson, et mourut abbesse de Port-Royal en 1658, il enseigna plusieurs années aux Granges les belles-lettres et la philosophie. Son cours de logique est le fond du livre qui fut composé plus tard dans une circonstance particulière et publié sous le titre de la Logique, ou l’art de penser[1]. Ce livre est à la fois d’Arnauld et de Nicole[2]. Il est tout pénétré de cartésianisme. On y combat à tout propos le pyrrhonisme, ainsi que la philosophie fondée sur la maxime que toute idée tire son origine des sens. On y professe le principe cartésien, que nous avons une idée naturelle, claire et certaine de faute et de Dieu. Les deux excellens discours préliminaires sont de la main de Nicole. Le premier, le plus important, est presque entièrement consacré à la réfutation du scepticisme et à l’apologie de la philosophie. J’en suis bien fâché pour Pascal, mais voici comment Nicole traite ses chers pyrrhoniens : « Le pyrrhonisme, dit-il, n’est pas une secte de gens qui soient persuadés de ce qu’ils disent, mais c’est une secte de menteurs[3]. » Montaigne est pris à partie et très malmené. Si j’avais à indiquer la meilleure réponse au livre des Pensées, je désignerais la logique de Port-Royal. J’y ajouterais le beau Discours contenant en abrégé les preuves naturelles de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’ame[4]. Il parut en 1670, un peu après les Pensées ; et on dirait que Nicole avait en vue les argumens sceptiques de Pascal, lorsqu’il écrivait les lignes suivantes : « Je suis persuadé que ces preuves naturelles ne laissent pas d’être solides… Il y en a d’abstraites et de métaphysiques, et je ne vois pas qu’il soit raisonnable de prendre plaisir à les décrier ; mais il y en a aussi qui sont plus sensibles, plus conformes à notre raison, plus proportionnées à la plupart des esprits, et qui sont telles qu’il faut que nous nous fassions violence pour y résister… Quelque effort que fassent les athées pour effacer

  1. Vie de Nicole, tome XIV des Essais de Morale, p. 28 : « Il lui enseigna (à Tillemont) la philosophie, et lui expliqua sur la logique tout ce qui a été donné depuis au public. »
  2. Ibid., p. 36.
  3. La Logique, ou l’art de penser, édition de 1662. Discours sur le dessein de cette logique, p. 13.
  4. Elle a été placée plus tard dans ses Essais, t. II.