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autographe, et cette lumière a fait paraître le plus puissant ennemi qu’ait jamais eu la philosophie.

Oui, Pascal est un ennemi de la philosophie : elle est trop loyale pour le dissimuler, et trop sûre d’elle-même pour redouter ni Pascal ni personne. La philosophie est assise sur des fondemens d’où elle peut braver également et Port-Royal et la société de Jésus. Elle exprime en effet un besoin nécessaire et un droit sacré de la pensée. Sa cause est la grande cause de la liberté du monde, rappelée à son principe même, la liberté de l’esprit. Sa force est celle de la raison appuyée sur deux mille ans de progrès et de conquêtes.

Il est du bel air, aujourd’hui, de traiter avec un superbe dédain la raison naturelle. Assurément elle n’est point infaillible, mais elle n’est pas non plus condamnée à l’erreur ou à l’impuissance. Mille fois on a fait justice du frivole paralogisme sur lequel reposent toutes ces déclamations inconséquentes, dirigées contre la raison par la raison même, depuis Pyrrhon et Sextus, jusqu’à Pascal et ses imitateurs. Mais laissons là la logique et les théories : attachons-nous aux faits. Quel démenti ne donnent-ils pas aux contempteurs de la philosophie !

Depuis les premiers jours des sociétés humaines jusqu’à la venue de Jésus-Christ, tandis que dans un coin du monde une race privilégiée gardait le dépôt de la doctrine révélée, qui, je vous prie, a enseigné aux hommes, sans aucun secours surnaturel, sous l’empire de religions extravagantes et de cultes souvent monstrueux, qui leur a enseigné qu’ils possèdent une ame, et une ame libre, capable de faire le mal, mais capable aussi de faire le bien ? Qui leur a appris, en face des triomphes de la force et dans l’oppression presque universelle de la faiblesse, que la force n’est pas tout, et qu’il y a des droits invisibles, mais sacrés, que le fort lui-même doit respecter dans le faible ? De qui les hommes ont-ils reçu ces nobles principes : qu’il est plus beau de garder la foi donnée que de la trahir, qu’il y a de la dignité à maîtriser ses passions, à demeurer tempérant au sein même des plaisirs permis ? Qui leur a dicté ces grandes paroles : un ami est un autre moi-même ; il faut aimer ses amis plus que soi-même, sa patrie plus que ses amis, et l’humanité plus que sa patrie ? Qui leur a montré, par-delà les limites et sous le voile de l’univers, un Dieu caché, mais partout présent, un Dieu qui a fait ce monde avec poids et mesure et qui ne cesse de veiller sur son ouvrage, un Dieu qui a fait l’homme parce qu’il n’a pas voulu retenir dans la solitude inaccessible de son être ses perfections les plus augustes, parce qu’il a voulu communiquer et répandre son intelligence, et, ce qui vaut mieux, sa justice,