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aussi échauffés quelque peu par les fumées de la vigne du Rhin, et à un signal donné trompettes et timbales commencent un vacarme de janissaires. Pour le coup, le Chérubin se réveille, et notre espiègle alors, dénouant du plus grand sang-froid la ceinture de précaution qu’on lui avait attachée autour du corps, se mit à pirouetter lestement sur le précipice, et revint ensuite avec l’agilité du chamois sur le plateau où se tenait la cour.

Dans l’après-midi, nous visitâmes le Sonnenstein à Pirna, ainsi que sa maison de fous, l’une des mieux tenues de l’Allemagne. A notre entrée, nous apprîmes du concierge que, comme il faisait beau, la plupart des hôtes du logis étaient allés se promener dans la montagne sous la surveillance des gardiens. Force nous fut de nous en tenir à quelques rares échantillons que nous rencontrâmes en parcourant les réfectoires, le jardin, les salles de travail, et les autres parties de l’établissement. Du reste, pendant le court entretien que nous eûmes avec trois ou quatre d’entre eux, ces braves gens ne nous semblèrent ni plus ni moins dépourvus de raison que l’immense majorité des individus composant la fourmilière humaine. On connaît ce mot de l’empereur Joseph II, auquel on demandait la liberté d’établir à Vienne des maisons de prostitution : « Qu’à cela ne tienne, s’écria-t-il ; mettez une tente sur la ville, et vous aurez le chef-d’œuvre du genre. » Maintenant, en fait de maisons de fous, la coupole du ciel ne serait-elle pas pour l’humanité un peu la tente de Joseph II ?

En traversant le jardin, nous rencontrâmes une manière de vieux gentilhomme harnaché militairement en voltigeur du temps de Frédéric : bottes à l’écuyère, culotte de peau, habit à revers soigneusement boutonné jusqu’en haut, rien ne manquait à l’équipage du galant petit maître, dont la perruque, armée d’une queue de dix-huit pouces pour le moins, était entièrement poudrée à neuf.

Il nous salua profondément et nous demanda du ton le plus poli et le plus digne si nous n’étions point par hasard les commissaires désignés par le roi son maître pour venir prendre le général comte de Z…, retenu depuis vingt ans dans cette forteresse pour crime de haute trahison. Comme il faisait mine de vouloir nous raconter tout au long son histoire, nous nous excusâmes en lui disant qu’il se méprenait, mais que nous avions rencontré dans une hôtellerie du voisinage les commissaires dont il parlait, et que ceux-ci ne pouvaient tarder d’arriver pour le délivrer.

Le cimetière de Sonnenstein touche au jardin où les pauvres fous se promènent à leurs heures de récréation. C’est un petit enclos