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sera, comme les autres, par le chemin vulgaire de l’opposition. En vérité, M. le comte Molé doit dire qu’il y a des gens bien difficiles à contenter.

L’illustre pair a prononcé deux discours : l’un est l’exposé des griefs du parti conservateur contre la politique du ministère ; l’autre est une réplique pleine d’à-propos et de vigueur, qui a paru produire une impression très vive sur M. le ministre des affaires étrangères. On peut résumer dans les termes suivans l’opinion si nettement et si éloquemment exprimée par M. Molé sur la politique de M. Guizot. C’est une politique qui exagère sans cesse son principe, qui ne sait pas se gouverner, se contenir, qui marche aveuglément devant elle sans prévoir les obstacles, qui crée partout des difficultés au lieu de les résoudre. C’est une politique qui ne sait pas garder son secret ni mesurer sa force. Elle veut la paix, mais avec une ardeur si inconsidérée, avec un désintéressement si grand, qu’elle fait perdre patience aux gens les plus pacifiques. Elle veut l’alliance anglaise, mais avec un entraînement si passionné, avec une telle prodigalité de démonstrations et de sacrifices, qu’elle finit par exciter contre l’alliance les susceptibilités nationales. C’est une politique de spontanéité, de premier mouvement, qui dépasse le but du premier coup et qui entraîne sans cesse à sa suite des réactions dangereuses. D’où sont venues les difficultés dans la question du droit de visite ? De ce que M. le ministre des affaires étrangères a signé la convention de 1841, et de ce que l’extension du droit a amené la réaction de l’esprit public contre le droit lui-même. Enfin, c’est une politique aventureuse, qui aime le mouvement, mais un mouvement stérile, et qui semble chercher les embarras, soit par irréflexion, soit par bravade. Qui a forcé M. Guizot de signer la convention de 1841 ? Personne. Qui l’a poussé dans les embarras inextricables de l’Océanie ? Personne. Ce sont des difficultés qu’il s’est créées lui-même, et qui aboutissent aujourd’hui à cette double impasse : pour le droit de visite, le ministère ne sait comment faire céder l’Angleterre ou reculer la chambre ; pour l’île de Taïti, il ne sait comment y rentrer ni comment en sortir.

M. Guizot est un grand orateur. Nous l’avons vu plus d’une fois à la tribune se tirer admirablement des situations les plus difficiles. Si l’homme d’état n’a pas grandi depuis quatre ans, assurément l’homme de discussion, l’homme des débats parlementaires n’a rien perdu. Ces dernières années l’ont vu remporter les triomphes les plus éclatans. Comment se fait-il cependant que M. le ministre des affaires étrangères, ait paru fléchir dans sa lutte avec M. le comte Molé ? Pourquoi n’a-t-il pas trouvé sa présence d’esprit ordinaire Pourquoi son langage a-t-il manqué d’adresse ? Pourquoi, tandis que M. Molé a su toujours concilier la dignité et l’émotion de la parole, la vivacité et les convenances, M. Guizot a-t-il laissé échapper des termes qui ont causé dans la noble chambre une sensation pénible, et qui ont paru empruntés aux passions violentes d’une autre époque ? Que signifie cette citation des vers connus du Misanthrope sur les haines vigoureuses que doivent ressentir contre les méchans les ames vertueuses ? Qui sont les méchans et pourquoi des haines ?