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Singulier à-propos de venir recommander une politique haineuse au chef du cabinet qui a inauguré la politique de l’amnistie ! La chambre des pairs a protesté contre ces expressions malheureuses, et M. Guizot les a atténuées par un commentaire. Nous voulons croire que ses souvenirs littéraires ont mal servi sa pensée. M. Guizot a exagéré ses expressions comme il exagère les conséquences de ses principes politiques. Toujours est-il que ce début n’a pas semblé heureux, et qu’il a paru à beaucoup de gens que la situation du ministre gênait son éloquence.

Toute l’argumentation de M. le ministre des affaires étrangères repose sur deux ou trois points que la presse ministérielle développe tous les jours. Suivant M. Guizot, si les conservateurs dissidens veulent renverser le cabinet, c’est qu’ils jugent la situation excellente. La succession est bonne à prendre ; mais cette succession périra entre leurs mains. Ils n’auront pas les élémens nécessaires pour constituer une majorité de gouvernement. Placés entre les exigences de la gauche et les rancunes de la droite ; ils seront condamnés à l’impuissance. Ils compromettront la politique dont la fortune aura été confiée à leur honneur et à leur dévouement.

Qu’il plaise à M. Guizot de déclarer que la situation est excellente, cela se conçoit, puisque c’est lui qui l’a faite. Cependant, c’est une assertion qu’on ne peut accepter sans examen. Si la situation est excellente, comment se fait-il d’abord que l’opposition soit si forte, que les mécontentemens soient si nombreux et si vifs, qu’il y ait en ce moment une irritation générale dans les esprits ? Comment se fait-il que votre majorité s’ébranle à la chambre des députés, et que les paroles de M. le comte Molé aient été si bien accueillies à la chambre des pairs, cette assemblée d’hommes sages, si opposée à tout changement politique ? Direz-vous que l’irritation est factice, que c’est un vain bruit, une émotion produite par une coalition d’intrigans et d’ambitieux ? Comment le pays pourrait-il être dupe d’un pareil jeu ? Comment la leçon de 1838 et de 1839 ne lui servirait-elle pas ? Le pays voit tout ce qui se fait. Il juge vos adversaires aussi bien que vous-mêmes, et il leur donne raison. Non, ce n’est pas une agitation factice qui règne en ce moment dans les esprits. Les inquiétudes que fait naître la politique ministérielle ne sont pas un mensonge. Ces inquiétudes, vous les partagez vous-même. Vous dites, sur le droit de visite, que vous êtes pleinement rassuré, que les deux gouvernemens sont sur le point de nommer des commissaires mixtes qui chercheront en commun des moyens nouveaux, plus efficaces que le droit de visite pour la répression de la traite. Vous célébrez ce résultat comme une victoire. Qu’avez-vous donc obtenu ? Les difficultés qui étaient débattues jusqu’ici entre les deux gouvernemens, et que les deux gouvernemens n’ont pu résoudre, malgré leur bon vouloir réciproque, seront débattues maintenant dans une commission qui sera entourée des mêmes embarras et des mêmes périls ; au lieu de deux chancelleries, il y aura des commissaires ; voilà tout. Appelez-vous cela une affaire terminée ? Croyez-vous que les chambres, qui ont