Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Alors la passion avait fait place à l’égoïsme, et les partis religieux s’étaient transformés en partis politiques. Mais à la France menacée dans son unité et son indépendance, le ciel envoie un ministre impitoyable qui s’emparera, par le droit divin de l’audace et du génie, de cette société aux abois. Richelieu la transforme sous sa main puissante ; Henri IV a étouffé à force d’habileté la bourgeoisie municipale pour se venger de la ligue ; le cardinal brise à son tour à coups de hache l’aristocratie terrienne. Le vieillard qui aura traversé tant de crises aura donc assisté à une complète révolution. La puissance du seigneur et celle de la cour même auront expiré l’une et l’autre ; la monarchie, qui n’était sous les Valois que le couronnement de l’édifice politique, en sera devenue la base sous les deux premiers princes de la maison de Bourbon. Après cette grande transformation consommée, un horizon inconnu jusqu’alors se sera ouvert tout à coup devant son regard : l’Europe tout entière sera engagée dans la sphère de la politique française. Dans la lutte terrible qui remue le continent et bouleverse l’Allemagne, la France se montre forte de son unité et de son organisation vigoureuse : alors il est facile de deviner Louis XIV dans le lointain, car les évènemens lui ont frayé sa route. Supposez enfin que le spectateur octogénaire de tant de révolutions entende autour de son lit de mort les bruits lointains d’une émeute de cour : sa longue expérience lui garantira la vanité de ces derniers efforts, et celui qui naquit sous le règne impuissant de François II expirera en ne trouvant plus debout devant lui qu’une seule force, la royauté devenue la règle universelle des mœurs, l’inspiration de toutes les consciences et l’arbitre de toutes les fortunes.

Voilà ce qu’a pu voir l’homme qui naquit en 1559 pour mourir en 1652, après avoir vécu sous sept rois. Supposez maintenant que cet homme ait été l’ami de Henri IV, le beau-frère de Biron, le conseiller de Marie de Médicis et l’un des premiers généraux de la guerre de trente ans ; supposez qu’il ait eu des relations personnelles et multipliées avec Richelieu, le prince de Weimar, Galas, Jean de Werth, Colloredo, Piccolomini et tous les grands hommes de guerre de son temps, et vous aurez assurément l’une des figures les plus attachantes qu’il soit possible de décrire et d’observer. C’est cet ensemble si varié dans les détails et si harmonieux par l’unité qui le domine, qui donne un si grand prix à la publication des Mémoires du maréchal duc de La Force[1].

Aucune époque, sans en excepter la nôtre, n’a été plus féconde en couvres de cette nature que la fin du XVIe et la première moitié du XVIIe siècle. Cependant, dans cette multitude d’écrits dont les uns furent inspirés par la vanité, d’autres par le besoin de se justifier, les mémoires du vénérable

  1. Mémoires authentiques de Jacques Nonpar de Caumont, duc de La Force, maréchal de France, et de ses deux fils les marquis de Montpouillan et de Castelnaut, publiés, mis en ordre et précédés d’une introduction par M. le marquis de la Grange ; 4e vol. in-8o ; chez Charpentier, rue de Seine.