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et de la Famille, est le fruit le plus récent de ces luttes passionnées. Quels que soient l’intérêt et la gravité du sujet, la renommée et le talent de l’auteur, nous aurions laissé à d’autres le soin d’en entretenir le public, si nous n’avions pas vu dans ce petit livre le commencement d’une phase nouvelle de la lutte qui a mis le clergé aux prises avec la philosophie et avec l’état. C’est là ce qui fait à nos yeux l’importance de cette publication et ce qui la désigne à l’attention des esprits prévoyans. Disons-le tout d’abord, ce livre est destiné à vérifier le mot de Joseph de Maistre : le XVIIIe siècle n’est pas fini. Quoi qu’on pense sur le voltairianisme (et pour nous, avons-nous besoin de dire que, malgré mille excès, nous l’absolvons pleinement dans le passé et ne sentons pour lui aujourd’hui qu’une juste reconnaissance), de quelque œil, disons-nous, que l’on considère la renaissance voltairienne que nous signalons, qu’on la veuille encourager ou contenir, elle est un fait de haute conséquence et un grave symptôme de l’état moral de notre époque ; elle doit être un avertissement pour le clergé, et pour les amis de la philosophie le sujet de délibération le plus sérieux qui se puisse proposer.

Voilà ce qui nous décide, malgré plus d’un inconvénient, à caractériser nettement et à discuter en toute franchise le livre de M. Michelet. Tout le monde connaît les rares et brillantes qualités qui distinguent l’interprète de Vico et de Luther, l’auteur de l’Histoire romaine et de l’Histoire de France, l’éloquent professeur que la jeunesse entoure de ses enthousiastes sympathies. Comme historien, M. Michelet réunit deux qualités qui trop souvent semblent s’exclure, et dont l’heureux mélange compose un talent bien rare : d’un côté, une vaste érudition fondée sur une curiosité ingénieuse et pénétrante que rien ne fatigue, et sur une puissance de travail que vingt années d’austères études n’ont pas épuisée ; de l’autre, une imagination merveilleuse qui colore les faits, fait revivre sous nos yeux les temps et les hommes, donne à la grave et sévère histoire l’intérêt émouvant d’un drame, l’agrément, le caprice, la variété d’un roman, et permet à M. Michelet de comprendre à la fois dans les vastes cadres de sa composition historique les faits et les idées, les anecdotes et les formules, les croyances, les mœurs et les arts. Au milieu de tous ces dons qu’une vive et riche nature a fécondés par un opiniâtre travail, le trait qui caractérise M. Michelet le plus nettement, c’est en certaines rencontres un sentiment singulièrement vif de la réalité historique. Sans insister sur une qualité que lui reconnaissent les plus sévères juges et les plus compétens, je dirai que la main qui a peint la chaste et héroïque figure de Jeanne