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limiter au catholicisme ?), il est de l’essence de la religion chrétienne et de toute religion révélée d’abolir la liberté humaine et de l’étouffer sous la grace. Ce n’est point encore là un excès, un dérèglement de la religion : c’est son principe d’action, son fond et sa vie.

L’ame humaine, inquiète de sa destinée, s’adresse à la religion, et lui demande comment se fait le salut. Le christianisme répond : « C’est la grace du Christ qui nous tient lieu de justice, et sauve qui elle veut. Quelques-uns sont prédestinés au salut, le grand nombre à la damnation. »

Remarquez que M. Michelet ne distingue point ici entre catholicisme et christianisme ; thomistes, protestans, jansénistes, ont beau subtiliser, ils sont d’accord au fond pour opprimer la liberté. Que l’ame humaine, au contraire, s’adresse à la philosophie, elle en recueillera une réponse bien différente. La philosophie lui dira : Ce qui sauve, c’est la pratique libre du bien. Nous serons payés selon nos œuvres… C’est ainsi que M. Michelet entend la lutte du christianisme et de la philosophie ; voilà sa formule générale des religions, c’est que toutes, et singulièrement le christianisme, prêchent aux hommes le salut par la grace divine à l’exclusion de l’œuvre et de la volonté. S’il en est ainsi, le livre de M. Michelet s’explique à merveille ; tout s’y enchaîne, tout s’y rapporte à un principe commun. La religion détruit la liberté dans le dogme ; le sacerdoce doit s’armer pour l’abolir dans la pratique. Or, quel est l’instrument le plus pénétrant et le plus fort du sacerdoce ? C’est la confession. Le but de la confession sera donc la diminution, l’affaiblissement, la destruction graduelle de la volonté, l’ensevelissement de toute activité dans le sommeil du mysticisme.

Ne vous étonnez donc pas que tous les grands théologiens soient fatalistes, que les plus fermes esprits, les plus sobres, les plus sensés, aient été invinciblement conduits, par la logique du catholicisme, à une sorte de quiétisme pratique ; que la robuste intelligence de Bossuet y ait succombé ; qu’il y ait, en un mot, depuis dix-huit siècles, et aujourd’hui plus que jamais, une conspiration universelle, invisible, infinie, de tous les ministres de l’autel pour détruire chez les hommes le sentiment de leur liberté, de leur dignité morale, du prix de la vie et des œuvres. Ne vous étonnez pas enfin que le catholicisme et ses ministres, que le christianisme et toutes les églises qui le composent, que toute religion positive et tout sacerdoce soient des institutions essentiellement immorales et malfaisantes. Voilà le dernier mot de M. Michelet sur la religion ; Voltaire l’avait prononcé avant lui : écrasons l’infame.