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gréco-slave secoue aujourd’hui ses chaînes, et répète à sa manière le fameux dithyrambe que les Grecs modernes chantent dans tout l’Orient aux oreilles des oppresseurs

« Enfin, nous te revoyons, ô Liberté ! tu te fais reconnaître à ton glaive tranchant, au regard rapide dont tu mesures la terre. Sortie des ossemens sacrés des martyrs, et pleine d’une nouvelle énergie, salut, ô Liberté hellénique !

« Depuis des siècles, tu gisais dans la poussière, abreuvée d’amertume et de honte, attendant qu’une voix divine te dît : Sors du tombeau. Sans toi, nous n’osions ni parler ni lever les yeux, la terreur des tyrans comprimait nos ames. Que tu as tardé à te réveiller !

« Infortunée, il ne te restait que la triste consolation de redire aux oreilles de nos fils tes gloires évanouies. Tu te meurtrissais le sein, et tu fondais en larmes, priant le ciel de te secourir.

« Sous ton linceul sanglant, tu te dressas enfin, et glissant d’un pas furtif, tu allas mendier l’assistance des nations étrangères… Mais tu revins seule ! Il est si difficile d’ouvrir les portes, quand c’est la main de la misère qui frappe.

« O mère, à ton retour, tu laissais tomber languissamment ta tête, comme le condamné pour qui la vie n’est plus qu’un pénible fardeau. Cependant, dès que la lionne, revenue dans son repaire, s’aperçoit de l’enlèvement de ses lionceaux, elle s’élance, elle rôde, altérée de sang ; elle court, elle vole à travers les bois, les vallons, les collines, et promène en tous lieux la fureur, la ruine et la mort.

« La mort, la ruine, la fureur, signalent aussi ton passage, et le cimeterre menaçant des maîtres ne fait qu’enflammer ta colère. Sortie des ossemens sacrés des martyrs, et forte de ton antique énergie, salut, Liberté grecque, salut à ton retour ! »


Ce dithyrambe ardent peut être regardé comme le cri patriotique de tous les Gréco-Slaves. Est-il donc possible d’accuser ces peuples d’être dévoués à la cause et au génie des tsars ? Conçoit-on qu’il y ait en France et en Angleterre des diplomates qui s’acharnent au nom de la liberté contre les nationalités slaves ? Que leur puissant réveil effraie les absolutistes, nous le concevons ; mais ce n’est pas aux puissances libérales qu’il convient de craindre cette Europe nouvelle qui se lève dans toute la générosité et la noble exaltation de la jeunesse. Il serait temps que la vieille Europe comprît enfin cette sœur puînée, et que l’Occident latin sentît la nécessité de s’unir plus intimement aux descendans de ses vieux confédérés slavons contre les exigences ultra-orientales d’une autocratie asiatique, qui de plus en plus mine nos frontières.


CYPRIEN ROBERT.