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prennent les rôles qu’il convient au poète de leur donner. La poésie y perdit beaucoup sans doute ; l’épopée guerrière et sacrée, ce chant matinal des peuples qui se souviennent à l’aurore des rêves de la nuit, manqua à la Chine. Le pouvoir temporel et l’autorité religieuse ne luttèrent point pendant des siècles. Sur les bords du Gange, les législateurs étaient des brahmanes, la suprématie resta dans leurs familles ; sur les bords du fleuve Jaune, les législateurs étaient des rois ; pontife souverain, représentant de Dieu sur la terre, l’empereur résuma en lui la double puissance[1]. Mais bien que plus rapproché des cieux, il était à son tour dominé par la loi ; il donnait l’exemple de la soumission à ses sujets, il se châtiait lui-même de leurs crimes et s’en accusait devant le maître du ciel. On peut ajouter que le monarque en Chine ne régnait qu’à la condition de maintenir dans leur intégrité les institutions consacrées avant lui. S’il s’écartait des saines doctrines, les peuples, ayant à leur tête quelque sage ministre organe des lois outragées, déclaraient le souverain déchu du trône ; une révolution légale ne tardait pas à s’accomplir, et elle avait pour but non d’ébranler, mais d’affermir le principe établi.

Ainsi se succédèrent les premières dynasties ; ainsi se consolida, malgré les guerres intestines et les attaques du dehors, cette monarchie, vivace, qui croyait à son avenir tant qu’elle renouerait la chaîne du passé : ce fut là le dogme sur lequel elle vécut exclusivement jusqu’à la chute de la dynastie de Tchéou.

Au temps où régnait le vingt-troisième empereur de cette famille, le lien qui unissait entre elles les parties de ce grand corps menaçait de se rompre. Confucius comprit le péril ; il sentit d’où venait le mal et s’efforça d’en arrêter les progrès. Si la confusion et le désordre continuaient à s’introduire dans l’état, si la corruption des mœurs et l’abandon des croyances poussaient les grands vassaux à méconnaître la souveraineté du suzerain, le peuple à se soulever, la famille à se dissoudre, c’en était fait de la Chine. Vieillie avant le temps, elle retournait à

  1. Primitivement, les empereurs offraient des sacrifices sur quatre montagnes situées aux quatre extrémités de la Chine ; plus tard, les Tchéou ajoutèrent à ces lieux sacrés une cinquième montagne, située à peu près au centre de l’empire. Afin d’obvier aux inconvéniens qu’entraînait pour les souverains l’obligation d’aller chaque année sacrifier à de si grandes distances de leur capitale, on choisit près du palais un emplacement qui pût tenir lieu de ces montagnes consacrées ; il y eut un temple pour les sacrifices de premier ordre, offerts au maître du ciel par le monarque seul, un autre pour les esprits, et un troisième pour les ancêtres et les saints personnages, auxquels on rendait des hommages et non un culte.