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desseins. À peine le bouddhisme parait-il en Chine, qu’il se trouve en hostilité avec l’ordre établi et en rapport avec la secte du Tao ; entre ces deux doctrines, il y avait en effet plus d’un point de ressemblance, et elles durent de bonne heure se confondre dans l’esprit du peuple. Les dogmes des Tao-sse avaient été admis hors de la Chine, peut-être y rentrèrent-ils cette fois incorporés à ceux qui arrivaient des bords du Gange. N’est-il pas avéré que des bonzes du XIe siècle, en entendant commenter le Tao-te-king, se sont écriés : Tout cela est bouddhique[1] ? De même aussi, en lisant certains passages des livres bouddhiques écrits après les prédications des nestoriens dans l’Asie centrale, on pourrait dire : Tout cela est chrétien.

Les dogmes de Lao-tseu, contenus dans son Tao-te-king, avaient produit quelque chose de plus positif qu’une philosophie abstraite, de plus précis que les rêveries des magiciens, à savoir, une religion représentée par des temples dans lesquels on invoquait les esprits au moyen des sacrifices, et surtout par un code de morale. Ce code de morale, c’est le Livre des Récompenses et des Peines, traduit en entier, avec toutes ses légendes, par le savant professeur auquel on doit l’interprétation du texte même de Lao-tseu. S’il était permis d’y voir autre chose qu’une collection de pieux récits arrangés successivement, classés de siècle en siècle par des adeptes fervens et instruits, s’il n’était tout-à-fait impossible de l’attribuer à Lao-tseu lui-même, on pourrait proclamer la doctrine du philosophe comme étant celle qui, malgré certaines puérilités, honore le plus l’antiquité païenne. On y trouve prescrit l’amour du prochain, qui, à la vérité, s’étend, ainsi que chez les bouddhistes, à tous les êtres créés ; mais à côté de ces mots : « Par pitié pour les papillons, n’allumez pas la lampe, etc., » on lit ceux-ci : « Payez les impôts pour les pauvres gens ; rachetez les prisonniers !… etc. » Les grandes clartés qui illuminent le ciel, le soleil, la lune, certaines étoiles et planètes, sont pour ainsi dire autant d’yeux qui surveillent la conduite des hommes ; mais ces puissances supérieures inscrivent les actions des mortels, en tiennent un compte exact, et ces actions se compensent les unes par les autres : il résulte de cette balance que l’homme est récompensé ou châtié selon que la somme du bien ou du mal l’emporte. Le châtiment sera la perte des grades littéraires, de la fortune, une mort prématurée ; la récompense, un rapide avancement

  1. Traduction du Tao-te-king, par M. Stanislas Julien ; observations détachées ; p. XLIII.