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et qui, las aujourd’hui de l’air libre des montagnes et aspirant, comme Mignon, au doux climat des loisirs, se laisse aller à cette pente périlleuse du far niente, dont le moindre inconvénient est de ne pas mener à l’Académie.

Il est donc évident que l’Académie bientôt aura épuisé la liste des poètes de quelque renom. Que fera-t-elle alors ?… « Mais, répondra-t-on aussitôt, il se trouve que vous omettez toute une classe d’auteurs, et que c’est précisément celle-là, celle-là seule, que le public lit. Il s’agit bien de critiques vraiment ! que ne nous parlez-vous du roman de tous les jours et de tout le monde, du roman qu’on s’arrache sous forme de feuilletons, qu’on réapplaudit sous forme de drame, qu’on broche en in-octavo, qu’on relie en illustrations ? que ne nous parlez-vous du roman qui donne (et c’est là le point capital) à l’écrivain un équipage pour aller à l’Institut, et au journal des abonnés dont le défraieront ses annonces ? » Voilà ce que répliquera la littérature facile, et la littérature facile aura raison. Si en effet on consent dorénavant à prendre la curiosité pour le bon goût, le scandale pour l’intérêt, et la notoriété pour la réputation, je crois que l’Académie fera bien de recruter ses nouveaux membres dans cette région bruyante des lettres qu’on sait être assez limitrophe de l’industrie pour qu’il surgisse à chaque instant des questions de territoire.

Et d’abord, il y aurait le roi de céans, porté en triomphateur sur le pavois de la presse quotidienne qu’il domine ; heureux metteur en scène qui sait dérober son médiocre style par l’entrain du mélodrame ; homme de ressources qui a inventé fort à propos le conte en dix volumes comme un remède topique pour les journaux in extremis ; sceptique spirituel qui s’est encapuchonné par occasion d’une robe de socialiste ; homme habile surtout qui, maître du succès, veut le garder à tout prix, et exploite à ces fins les mystères de la sacristie avec aussi peu de scrupule qu’il exploitait hier les mystères du bagne. Puis viendrait cet autre écrivain à demi déchu, dont toutes les ambitions ont avorté, qui a voulu avoir son Calas comme Voltaire, son Figaro comme Beaumarchais, son mysticisme comme Swedenborg, ses contes graveleux comme Rabelais, son journal à lui seul comme Grimm ; observateur sagace de la vie domestique qui a gâté son talent par toutes les prétentions et son style par tous les jargons, improvisateur laborieux qui semble devoir finir aussi obscurément qu’il a commencé ; et à qui enfin il ne manquait pour dernière équipée que d’affermer son maréchalat littéraire, non plus à l’état, ainsi qu’il le proposait autrefois, mais à un suzerain de feuilleton auquel il faut des vassaux. Ce serait