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intervint au profit du concurrent écarté, qui réussit, comme on l’a vu.

Sorti du collége en 1820, M. Saint-Marc Girardin ne se demanda pas long-temps ce qu’il allait faire. Il avait trop le goût d’écrire pour ne pas être écrivain, trop le tact de son temps et l’instinct des affaires pour être tout simplement homme de lettres. Dans un article de ses premiers débuts, on rencontre cette phrase : « Je me souviens toujours que, quatre mois après ma rhétorique, me trouvant avec six de mes camarades de collége, nous nous confiions mutuellement nos projets de littérature et de gloire ; chacun avait sa tragédie en portefeuille ou en idée, et sur six, il y avait cinq Virginie ; la sixième était plus hardie et plus originale : c’était une Mort de Lucrèce[1]. » M. Saint-Marc parle de ses camarades, mais il se garde de parler de lui : c’est que, je le soupçonne, s’il méditait déjà quelque chose, c’était bien moins une tragédie que quelque parodie maligne des tragédies des autres. Ce tempérament critique, cette aptitude, en quelque sorte native, qui se déclaraient d’abord chez M. Girardin, devaient le faire entrer aussitôt et avec décision dans la voie de la polémique littéraire et politique. C’est ce qui arriva. En général, il n’est presque pas un écrivain critique qui, dans sa vie, n’ait fait au moins une échappée dans le domaine de l’imagination. S’il en est peu à qui la poésie soit, comme elle l’est pour M. Sainte-Beuve, une autre partie de la gloire, l’art, ne fût-ce qu’en passant, a tenté chacun à son heure. Ç’a été le début ou le rêve des uns ; pour d’autres, une sorte de retour, un épisode, un projet, une distraction. Presque tous s’y sont laissé prendre : M. Villemain n’a-t-il pas fait Lascaris, M. Chasles la Fiancée de Bénarès, et n’a-t-on pas eu une nouvelle de M. Nisard ? M. Gustave Planche a annoncé un roman, M. Béquet avait écrit le Mouchoir bleu, M. Magnin a laissé jouer une comédie[2], et il a été cité de jolies strophes de M. Ampère. Ce pli rétif de l’imagination se retrouve chez les plus graves, et il n’y a pas jusqu’à l’érudition qui n’ait ses caprices inventifs : j’ai vu, imprimés, des vers de M. Guérard, et les curieux se souviennent du piquant Lysis de M. Le Clerc. Rien de pareil ne se rencontre, que je sache, chez M. Girardin : c’eût été se risquer dans une route où quelques-uns d’entre les meilleurs ont échoué, et M. Girardin n’a jamais eu le goût des mécomptes et du temps perdu. Toute

  1. Mercure du dix-neuvième siècle, tome XVII, p. 367.
  2. Racine ou la Troisième représentation des Plaideurs. On trouve précisément, dans le Mercure de 1826, l’éloge de « cette charmante petite pièce » par M. Saint-Marc Girardin. (Voyez tome XII, p. 38.)