Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/498

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

brillant, tel que le pouvait faire un tirailleur adroit et sans pitié qui s’abritait sous le couvert inexpugnable de l’esprit. En sûreté derrière son fort solitaire, il s’amusait à taquiner tout le monde, et, dans son agile prestesse, frappait tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. C’était le moyen de dépister les ripostes. D’ailleurs, les personnes étaient rarement désignées avec aigreur, et certaines œuvres même, nées sur les confins de la jeune école, le Voyage de Grèce de M. Lebrun, les poésies de Mlle Gay, étaient abordées sur le ton de la bienveillance : on se rencontrait là sur une sorte de terrain neutre, et il y avait armistice. Quelquefois aussi, une épithète aimable, une sorte de salut à la rencontre, étaient jetés en passant à des noms moins pacifiques : ainsi les mots de jeune homme plein d’esprit et de science[1] accompagnaient une allusion directe à M. Sainte-Beuve. Ces aménités pour les écrivains ne permettaient que mieux l’hostilité rieuse envers les doctrines. Rapide, impossible à atteindre dans sa légèreté, le critique, comme le Parthe, jetait ses traits en fuyant. On était irrité de sa guerre perfide, mais on ne savait où le saisir. Ses alliés non plus de la vieille école ne pouvaient guère compter sur lui : il semblait dire d’eux comme on disait en 1815 : nos amis les ennemis. Si, par exemple, il jouait aux novateurs le mauvais tour de les rendre responsables de la fabuleuse réussite du Solitaire, la littérature de l’empire attrapait aussi son horion : « M. d’Arlincourt, disait M. Girardin, invente comme les classiques de nos jours et écrit comme les romantiques. » C’est ainsi que M. Saint-Marc ne visait pas plus à satisfaire M. Hugo que M. Arnault, et qu’il égratignait aussi bien le tatouage du style que le néant des périphrases ; ce qu’il voulait satisfaire, c’était le lecteur. Débutant, il lui fallait une tribune écoutée ; inconnu, il lui fallait une réputation ; jeune, il lui fallait une certaine autorité près du public. Les Débats lui donnèrent de bonne heure la première ; il conquit vite la seconde à force de verve et d’esprit ; il eut bientôt la troisième en se produisant sous le patronage continu du bon sens. C’est un ami de M. Saint Marc[2] qui a dit de lui excellemment : « Il s’arrange toujours pour avoir tellement raison, qu’on ne puisse lui donner tort sans se faire injure à soi-même. » Aussi la folle du logis garde-t-elle quelquefois rancune à M. Saint-Marc de cette habile précaution ; tout en sachant qu’il a le plus’ souvent raison, elle est piquée d’avoir toujours tort.

Ce n’est pas que M. Girardin aime le moins du monde les lieux

  1. Débats, 19 décembre 1828.
  2. M. de Sacy, Débats du 5 décembre 1833.