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c’est toujours cette absence du sentiment des proportions et de la réalité qui choquait incessamment dans son théâtre.

La contenance de M. Saint, Marc Girardin à l’égard de l’école romantique de la restauration nous semble maintenant en lumière M. Saint-Marc, dans ce temps-là, prenait plaisir à se moquer avec sa plume de journaliste des excès contre le goût, comme depuis il s’est moqué avec sa parole de professeur des excès contre la morale. Mais ce qui me paraît marquer plus particulièrement son rôle littéraire d’alors, c’est qu’il est toujours resté individuel, c’est qu’il ne s’est jamais mêlé aux sectes et aux groupes d’aucune sorte. En évitant ainsi les combats réguliers comme les luttes organisées, en ne dépensant ses forces au profit de nulle école, M. Girardin gardait pour lui-même tous les avantages de son talent, tout le fruit de ses efforts ; il n’était ni gêné par des engagemens, ni coudoyé par des rivaux. On brille plus à l’aise dans un tournoi que dans une mêlée. Une autre remarque encore qui, selon moi, sert à déterminer la position particulière de M. Girardin comme critique au milieu de l’insurrection de poètes qui précéda la révolution de juillet, c’est combien il était moins sensible alors et moins attentif qu’il ne l’a été depuis à cet éclat de la poésie lyrique, qui sera peut-être la seule gloire, mais la gloire très brillante de la nouvelle école. On en jugera par un exemple. Ayant occasion de dire son avis sur les Nouvelles Méditations de Lamartine, qui contenaient les Préludes, le Crucifix, et tant d’autres morceaux incomparables, M. Saint-Marc Girardin écrivait : « M. de Lamartine n’a réussi qu’une fois encore. Dans ses premières Méditations, il a lutté contre l’expression jusqu’à ce que la pensée poétique se montrât au dehors aussi pure qu’il l’entrevoyait dans son esprit. Ici, rien de cela. » Certes, M. Girardin en conviendra, cette critique est bien sévère, si elle n’est pas outrée ; l’inspiration se trouve du coup sacrifiée à la correction. Voilà comment les Nouvelles Méditations étaient jugées en 1828 ; voyons comment Jocelyn le sera dix ans plus tard. Je me rappelle que, quand Jocelyn, parut, M. Saint-Marc faisait son cours à la Sorbonne sur le XVIIIe siècle ; il parlait, je crois, de Voltaire. Eh bien ! le professeur n’y put pas tenir, tant le courant de cette grande poésie l’avait saisi et emporté ; il jeta donc loin de lui la Pucelle et le Mondain, et, prenant tout à coup le volume d’hier, il raconta, durant deux leçons, les sentimens suscités en lui par cette récente lecture, il parla du poète et du poème avec une verve, avec une émotion et une éloquence que n’oublieront jamais ceux qui étaient là. Sans doute, ces