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Mais sans entrer ici dans ces graves questions, dont j’ai plusieurs fois eu l’occasion de présenter ailleurs[1] l’examen approfondi, je me borne à constater, d’après l’opinion formelle d’Hérodote, qu’avant l’établissement des Grecs, sous Psammitichus, aucun peuple étranger n’avait joui de cette faveur.

Après une lutte prolongée, ce prince finit par triompher de ses compétiteurs, avec l’aide des Ioniens. Ceux-ci, arrivés fortuitement sur la côte d’Égypte, furent accueillis par ce chef ou dynaste du Delta ; sur son invitation, ils firent venir un nombre suffisant de leurs compatriotes, et établirent définitivement Psammitichus sur le trône de toute l’Égypte.

Le service qu’il venait de recevoir de ces étrangers lui fit sentir tous les inconvéniens des préventions inhospitalières de sa nation, ainsi que l’avantage que l’Égypte pouvait retirer de ses communications avec les autres peuples. Il permit donc aux Grecs de s’y établir. Là ils trouvèrent un monde nouveau ; leur génie éminemment perfectible sut apprécier les mérites de cette civilisation antique ; ils s’approprièrent surtout avec une facilité merveilleuse les hautes qualités de l’art égyptien, qu’ils devaient élever, en si peu de temps, à une perfection inconnue dans le pays qui lui avait donné naissance.

Psammitichus concéda des terres, le long de la branche Pélusiaque, aux Ioniens et aux Cariens, dont la valeur avait tant contribué à le délivrer de ses rivaux. Ces colonies, protégées par les successeurs de ce prince, continuèrent de fleurir ; tout fait présumer que d’autres émigrations vinrent successivement les augmenter, et, sous le règne d’Apriès, le prédécesseur d’Amasis, ces mêmes Cariens et Ioniens formaient un corps de trente mille soldats, ce qui pourrait faire supposer déjà une population de deux cent à deux cent cinquante mille hommes. Plus tard, Amasis les transféra en tout ou en partie à Memphis ou dans les environs, et en même temps il permit à tous les Grecs qui voulaient se fixer en Égypte de venir s’établir à Naucratis, sur la branche Canopique[2], expression qui semble impliquer la préexistence de la ville. Ce nom, tout-à-fait grec[3], ferait croire qu’elle avait été fondée par les Grecs à la suite d’une bataille navale ; mais, quand on pense à leur usage de dénaturer ceux des noms étrangers qui pouvaient, par un léger changement, être amenés à des racines de leur langue, on a lieu de présumer, d’après le texte d’Hérodote,

  1. Dans mes Cours au Collège de France.
  2. Hérod., II, 153, 154, 163, 178. — Diod. Sic., I, 67.
  3. ormé ναΰσι χρατεϊν, vaincre ou dominer sur mer.