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Cette mesure annonce de la part du roi d’Égypte le ferme propos de mettre les indigènes et les Grecs dans un contact immédiat. Ses successeurs la favorisèrent constamment, et les Perses, dans la suite, n’y mirent aucun obstacle : aussi voyons-nous qu’au temps d’Hérodote les interprètes égyptiens s’étaient tellement multipliés, qu’ils formaient une classe d’habitans, car cet historien compte ces interprètes pour une des sept classes dans lesquelles il divise la nation égyptienne. Sans doute, on doit reconnaître que cinq de ces classes n’en forment à la rigueur qu’une seule, celle des artisans et laboureurs ou gens vivant du produit de leur industrie, subdivisée en cinq ordres de professions ; mais il n’en est pas moins remarquable qu’Hérodote fasse une classe entière de ces interprètes, dont la fonction unique, comme il le dit, était de servir d’intermédiaire entre les deux peuples. Cette classe nombreuse ne pouvait vivre qu’en étant occupée, et elle ne pouvait l’être qu’à traduire verbalement ou par écrit de l’égyptien en grec ou du grec en égyptien : d’où l’on peut conclure que les relations des deux peuples devaient être bien multipliées pour exiger tant d’interprètes.

Ainsi, de ce texte seul d’Hérodote on pourrait tirer la conséquence qui ressort en même temps de tous les autres faits qu’il a rapportés, à savoir l’extension successive du nombre des Grecs, la fondation de leurs colonies commerciales dans les parties les plus reculées de l’Égypte, et la protection dont jouirent leurs établissemens sous la domination perse ; ce qui indique déjà que cette domination ne fut point oppressive, et que ces conquérans ne changèrent rien en Égypte à ce qu’ils y trouvèrent établi.

L’institution des interprètes, établie par Psammitichus, évidemment continuée et encouragée par ses successeurs, nous indique, dans la protection qu’ils accordèrent aux Grecs, un but évident d’utilité publique, et non pas seulement le désir de trouver dans ces étrangers une garde sûre pour leur personne ; elle annonce des vues politiques tendant à augmenter les richesses du pays au moyen des relations commerciales. Plus on réfléchit à l’ensemble de tous ces faits, plus on se sent disposé à croire que Psammitichus voulut vaincre l’apathie des Égyptiens et leur répugnance à faire autre chose que ce qu’avaient fait leurs pères. Désespérant de pouvoir jamais, avec eux seuls, profiter de tous les avantages commerciaux que présentait le pays le plus fertile du monde, il voulut les mettre en contact avec une nation active, industrieuse, entreprenante, et de plus la seule peut-être avec laquelle les Égyptiens ne devaient avoir