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que purent être élevés facilement les blocs des colonnes de la salle hypostyle de Karnak, qui ont 21 mètres de haut, et 10 mètres de tour, ainsi que leurs énormes architraves. On enterrait toutes les colonnes à mesure qu’elles s’élevaient, et l’on allongeait graduellement le plan incliné, ou l’on en multipliait les rampes, selon le besoin. Une application du même procédé, c’est-à-dire un plan incliné en spirale, à peu près tel que l’avait conçu Huyot[1], a fourni le moyen de dresser les obélisques, et cela sans autre secours, comme les Indiens d’aujourd’hui, que celui des leviers et d’une multitude de bras habilement combinés. C’est ainsi que Rhamessès avait employé 120,000 hommes pour dresser un des obélisques de Thèbes, fait qui seul annoncerait l’extrême imperfection ou plutôt l’absence totale de la mécanique[2]. Et, en effet, dans aucune peinture égyptienne, on n’aperçoit ni poulies, ni mouffles, ni cabestans, ni machines quelconques ; si les Égyptiens en avaient eu l’usage, on en trouverait la trace dans un bas-relief du temps d’Osortasen[3], qui nous représente le transport d’un colosse ; on le voit entouré de cordages, et tiré immédiatement par plusieurs rangées d’hommes attachés à des câbles d’autres portent des seaux pour mouiller les cordes et graisser le sol factice sur lequel le colosse est traîné. La force tractive de leurs bras était concentrée dans un effort unique, au moyen d’un chant ou d’un battement rhythmé, qu’exécute un homme monté sur les genoux du colosse. Si 1,000 hommes ne suffisaient pas, on en prenait 10,000, autant qu’on en pouvait réunir sur un point et pour une même action. Ce bas-relief remarquable fait tomber bien des préjugés, en nous montrant que la mécanique des Égyptiens, comme celle des Indiens actuels et des Mexicains, qui, sous Montezuma, transportaient des masses énormes sans machines d’aucune sorte[4], a dû consister dans l’emploi de procédés très simples, indéfiniment multipliés, et coordonnés habilement par une longue habitude de remuer de très lourdes masses[5].

  1. Son dessin est déposé à l’École des Beaux-Arts.
  2. Plin., XXXVI, 9.
  3. Publié d’abord par Cailliaud, puis par Champollion et Rosellini, enfin par sir G. Wilkinson, Mannaers and Customs III, 325.
  4. P. Martyr, De Orbe novo, decad. V, cap. 10 ; cité par Prescott, History of Mexico.
  5. M. Prisse (qui vient de faire présent à son pays des bas-reliefs de la chambre, de Thouthmosis III), m’entendant lire ce passage à l’Académie, m’a communiqué une observation qu’il a faite à Thèbes, où il a remarqué les restes d’un plan incliné qui a servi à élever les énormes pierres d’un des pylônes de Karnak. Mes vues se trouvent, sur ce point, confirmées par un fait positif que je ne connaissais pas.