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à déchiffrer, fossettes souriantes, yeux fendus en amandes et étincelans de malice, je ne sais quoi du singe et de l’oiseau ; le caprice écrit sur tous les traits, la peau plus que brune, la dent plus que blanche, beaucoup de la bohémienne ; Reynolds a fait d’elle un charmant portrait. George Selwyn s’en va souper là ; c’est un si bon garçon, et si peu à craindre dans les ménages !

Notre homme avait aussi des mélanges dans son caractère et dans ses habitudes. Il était frivole comme le vent, léger comme la paille, amoureux de toute chose nouvelle, incapable de sérieux en rien, et surtout dans le mal ; vaniteux, aimable, sans passion, un bijou de salon. Il restait froid en disant de jolies choses, et ses épigrammes plaisaient davantage ; mais ce qu’il aimait par-dessus un bon mot, c’était une exécution à mort, et, plus que l’exécution, la tête coupée ; il payait cette curiosité fort cher. Un enfant rose et frais le charmait aussi ; — un bel enfant et un vieux pendu ! quels goûts ! On n’est pas plus blasé que cela. Comme son atmosphère à lui était le salon, qu’il ne connaissait ni les rues ni les forêts, que la chambre des communes l’ennuyait, que la table de jeu le fatiguait, et que d’ailleurs cette vie factice et brûlante a ses tristes retours, il trouvait dans l’enfance la naïveté de la vie qui éclot, et dans l’échafaud la naïveté de la mort.

Qu’un tel homme soit historique, voilà ce qui surprend. Il l’est comme ami de Walpole ; ses lettres expliquent bien la double société d’Angleterre et de France, les salons de Mme Du Deffand et de lady Hervey. On n’a qu’à se retourner : à droite la France, à gauche l’Angleterre ; deux pays nouveaux l’un pour l’autre et qui se touchent.

J’ai demandé souvent compte aux historiens littéraires, comme aux historiens politiques, de l’habitude qu’ils ont prise d’examiner seulement une fraction de l’Europe, un point isolé de l’ensemble. S’il n’est comparé avec ce qui l’entoure, ce point isolé n’a aucune valeur. Les histoires du XVIe siècle, en France, seront toutes incomplètes tant qu’on n’aura pas renoué les liens qui rattachent intimement l’Allemagne et l’Italie de cette époque à la France, à l’Angleterre et à l’Espagne. Oui, c’est charmant à voir, le XVIIIe siècle de Voltaire ! Quelle gaieté ! quelle tristesse ! comme tout s’agite et se précipite ! Mais l’Angleterre de Bolingbroke et de Chatham renferme et cache le ressort de ces agitations. Il faut les étudier ensemble et les détacher cependant. L’Angleterre du XVIIIe siècle, magnifique étude, est tellement complexe, qu’on doit, pour la comprendre, analyser la France de bien près, dans ses mœurs plus que dans ses livres et les comparer l’une à l’autre.

La tâche n’est pas aisée, tant les deux nations se ressemblent peu,