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à cette grande mêlée que l’arrivée de Franklin, le départ et les combats de M. de Lafayette, pour achever ce que le docteur Schlosser appelle la fusion des deux races et des deux peuples.

Cette fusion était-elle profonde, était-elle réelle ? Non, certes. Pour se trouver dans les désirs et les esprits, elle n’existait pas davantage dans les faits.

Sous la reine Anne, la société anglaise, même la plus haute, n’avait pas encore deviné, tant s’en faut, l’exquis et le gracieux du monde français. Les hommes les plus distingués vivaient dans les clubs. En 1730, Addison dictait à ses compatriotes, dans le Spectateur, de véritables règles de civilité puérile, qui rappellent celles de Catherine de Russie : « On ôtera son chapeau. » Marie Wortley Montagu, femme d’ambassadeur, se faisait remarquer par le peu de soin de son costume, et osait publier une ballade licencieuse contre une de ses amies, lady Murray, femme fort estimée, à laquelle un laquais avait fait outrage, « bien que, dit le malin Walpole, elle fût protégée contre de telles offenses par une défense de rides plus nombreuses que l’on n’en vit jamais autour d’une figure humaine. » Il restait quelque chose de farouche dans le vice, d’effréné dans l’élégance, de violent dans le bon ton, de féroce dans l’austérité, de fanatique dans la religion. Addison naquit au moment où ces teintes contraires pouvaient s’adoucir et se fondre au profit de la sociabilité, et dut sa gloire à cet à-propos de son talent.

Addison éteint la débauche chez les gens de cour, et leur en fait honte ; il adoucit la rude piété des gens de roture, et leur persuade d’être aimables. C’est là sa mission. Aussi cette douce sévérité d’Addison fut-elle accueillie d’un sourire universel et d’une reconnaissance générale. Grace à l’onction d’un style naturel sans faiblesse et grave sans emphase, cet heureux esprit devint l’instituteur de son temps ; la censure bourgeoise des mœurs publiques s’installa et prit rang dans les habitudes.

Quant à la France, elle est bien loin encore de cette admiration pour la vertu bourgeoise, que Diderot lui communiquera plus tard ; ce qu’elle admire, c’est lord Stormond, le jeune Anglais, magnifique, beau, et qui avait le don de plaire. Les salons s’ouvraient d’eux-mêmes à Stormond comme à Bolingbroke ; mais, dans les habitudes, rien ne se touchait encore ; une femme du grand monde se chargea de ce soin délicat et n’y réussit pas davantage.

Dans l’histoire de ce magnétisme des mœurs réciproques des deux nations, lady Hervey ne peut être oubliée ; elle continua Bolingbroke