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absolue ; est-ce là ce qu’il appelle une majorité de gouvernement ? Qu’on se souvienne de ce que M. Guizot et M. Duchatel disaient en 1839 à M. Molé, réduit comme eux à une majorité relative de huit voix ? Ils lui disaient que les règles constitutionnelles lui faisaient un devoir de se retirer, ou de dissoudre la chambre. A la vérité, M. le comte Molé n’avait pas besoin de cette leçon. Aussitôt après le vote, il avait donné sa démission, et il ne l’a reprise que pour dissoudre la chambre.

Le ministère nous dit maintenant qu’une majorité de trois voix lui suffit. Cependant que disait-il pendant tout le cours de la discussion ? Rappelez-vous les paroles superbes de M. Guizot : « Il nous faut un concours net et ferme des grands pouvoirs de l’état. Nous ne souffrirons pas que notre politique soit défigurée, énervée, abaissée entre nos mains ! » Trois voix de majorité pour la petite politique, ce serait assez peut-être ; mais pour la grande politique, trois voix ! c’est bien peu. Comment M. Guizot peut-il s’en contenter ?

Le ministère veut rester, parce que, dit-il, il est le seul possible. A la bonne heure, voilà une opinion nettement exprimée ; mais sur quoi repose-t-elle ? M. Thiers, dit-on, est impossible ; il n’a pas la majorité. Quant à M. Molé, il aurait peut-être la majorité, s’il consentait à demander l’appui de M. Barrot ; mais il ne le fera pas, par conséquent il est impossible. A-t-on jamais vu pareilles prétentions ? Et ce parti conservateur, qui tour à tour a soutenu M. Périer, M. Thiers, M. Molé et vous, qu’en faites-vous donc ? Vous le confisquez ! vous en faites votre propriété ! Ce grand parti, si respectable jusque dans ses erreurs, vous le traînez à votre suite ; vous dites à M. Thiers qu’il ne l’aura jamais ! vous dites à M. Molé que, s’il vient au pouvoir, vous tournerez ce parti contre lui ! Depuis quand donc vous a-t-on remis cette dictature ?

Il est vrai que les conservateurs ministériels ont tenu le 19 janvier une réunion, et que, sur la proposition de M. Hartmann, une députation a été adressée au président du conseil pour demander au cabinet de conserver la direction des affaires. Voilà l’investiture parlementaire du cabinet. Cette réunion a-t-elle la majorité dans les chambres ? Nous ne le pensons pas. Quoi qu’il en soit, voilà une force qui appuie le cabinet. Mais que la réunion Hartmann y prenne garde ; le cabinet l’entraînera plus loin qu’elle ne veut. Quand le pouvoir s’appuie sur une majorité de trois voix, sa seule ressource, pour conserver une pareille majorité, est de la passionner, de l’exalter. C’est ce que fait déjà le ministère aujourd’hui. Voyez ses journaux ; ils font une polémique des plus violentes. Organes du pouvoir, ils dépassent en fureurs tous les organes de l’opposition. Ils devraient éteindre le feu, et ce sont eux qui l’allument. Tout cela est fait pour agir sur la phalange ministérielle, pour que personne ne s’échappe de ses rangs, pour que la peur tienne lieu de courage et de fidélité. Nous avons déjà vu ce système à l’œuvre il y a plusieurs années. Cela s’appelait autrefois l’intimidation. On a deux moyens