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que le Portugal est vis-à-vis de l’Espagne dans la même situation que la Belgique à l’égard de la France ; on s’est trompé : députés, hommes d’état, publicistes ; demeurent en Espagne, ou peu s’en faut, absolument étrangers à ce qui se passe en Portugal, et, de son côté, Lisbonne se ferait un vrai scrupule de subir au moindre degré l’influence de Madrid. Sous le gouvernement même d’Espartero, bien long temps avant que les ultra-modérés eussent quelque espérance de ressaisir le pouvoir, les ultra-chartistes s’étaient mis à la tête des affaires ; la reine doña Maria avait déjà pour ministre M. Antonio da Costa-Cabral. Les relations commerciales même, et jusqu’aux relations de voisinage, sont très peu suivies, très peu fréquentes entre les deux pays tandis qu’à Madrid foisonnent Français, Anglais, Allemands, vous avez peine à y rencontrer un Portugais ; à Lisbonne, vous placerez aisément le papier de Paris, de Londres, de Hambourg, de Saint-Pétersbourg peut-être nous doutons fort que vous parveniez à négocier celui de Madrid.

Que le Portugal demeure donc le Portugal, puisque de part ni d’autre les deux nations péninsulaires ne sont point préparées encore à la fusion des mœurs politiques ni à la fusion des lois. Sans nous écarter de ce point de vue, nous voulons examiner comment, sous le sceptre de doña Maria, se peuvent réellement fonder les libertés constitutionnelles, comment on peut réhabiliter le crédit public et relever la fortune de la nation, à quel rang enfin le Portugal peut remonter en Europe par les traités et les alliances commerciales. Nous nous imposons là une tâche pénible : que de fautes et d’erreurs il nous faudra constater ! Si sévère pourtant que nous soyons envers la cour, ou, si l’on veut, le gouvernement de Lisbonne et les partis contre lesquels il est réduit à se débattre, nous le serons moins encore que ne le sont au fond envers eux-mêmes les hommes qui soutiennent la lutte et ceux qui l’ont engagée ; nous serons surtout beaucoup plus optimiste, car aujourd’hui c’est précisément le plus grand péril de la nationalité portugaise, que le Portugal lui-même n’ose point avoir une foi complète en son avenir.


I – LA COUR DE LISBONNE. – LE MINISTERE COSTA-CABRAL. – LES CHAMBRES ET LA PRESSE

L’histoire de Portugal n’offre depuis trois cents ans que des questions de personnes ; si de cette histoire on supprimait l’infant dom Henri, en faudrait-il également retrancher les hardies expéditions, les immenses découvertes, et tout le merveilleux XVIe siècle de cette petite nation, à qui l’Europe moderne doit ses plus grands navigateurs ? Nous ne savons, mais depuis la fin de ce XVIe siècle, depuis qu’entre Fez et Méquinez, dom Sébastien, le dernier des croisés, a disparu dans une seule bataille avec l’élite de ses chevaliers, il est pénible de voir que le sort de ce noble peuple ne tienne plus qu’à des causes particulières, et, pour ainsi dire, à des accidens imprévus. C’est la mort d’un homme, la mort du roi Sébastien, qui livre le Portugal à