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Ainsi, tout en regardant comme un fait incontestable que l’époque de transition commence dans le nord-ouest de la France beaucoup plus tôt que dans les pays voisins, il faut mettre de côté tous ces prétendus miracles qui ne font que rendre suspectes aux gens sérieux nos dates même les plus authentiques. Des monumens de transition, à partir de 1150, quelque rares qu’ils puissent être dans le reste de l’Europe, nous pouvons hardiment en montrer chez nous un bon nombre ; mais des constructions complètement à ogive avant cette époque, c’est courir après une chimère que de vouloir en trouver une seule.

Toutefois, quelques mots encore sur une église à laquelle on attribue, en Picardie, une ancienneté presque aussi extraordinaire que celle dont on fait honneur, en Normandie, à la cathédrale de Coutances. Nous voulons parler de l’ancienne cathédrale de Laon. L’histoire de cette grande église, remarquable à beaucoup d’égards par son architecture, est mêlée à celle des sanglantes catastrophes qui signalèrent, dans la ville de Laon, l’établissement de la commune. Au moment où les bourgeois venaient de massacrer leur évêque, la cathédrale, prise et reprise d’assaut, devint tout à coup la proie des flammes. L’incendie fut violent ; il dévora une moitié de la ville, et l’église fut en grande partie détruite. C’était en l’année 1112. Deux ans après, en 1114, grace à des quêtes abondantes, faites non-seulement en France, mais même en Angleterre, grace à l’ardeur du clergé et de la population, tout était réparé, et le culte était solennellement rétabli dans l’église[1].

Venait-on seulement de restaurer l’édifice ? l’avait-on reconstruit complètement ? L’opinion commune croit à une reconstruction[2]. Si cette opinion était fondée, si l’église qui subsiste aujourd’hui était celle de 1114, cet immense édifice serait l’œuvre de deux années et quelques mois ! Une telle supposition ne peut pas se soutenir. Quelque nombreux que fussent les ouvriers, quelque abondant que fût l’argent, il était matériellement impossible qu’un si vaste vaisseau pût être élevé et couvert dans l’intervalle de deux ans et demi. Un pareil tour de force ne serait pas plus admissible avec les procédés employés aujourd’hui qu’avec ceux dont on se servait alors. Ajoutons que, parmi les monumens du moyen-âge dont on sait exactement l’histoire, monumens moins grands, pour la plupart, que la cathédrale de Laon, plus richement

  1. « IV. Id. Sept. anno 1114, ecclesiam cathedralem à se instauratam dedicavit, ut patet ex his verbis Hermani, lib III, cap. 1 : Bartholomaeus adeo templum dominae nostrae studuit accelerare ut post duos semi annos incensionis ejus rursum fieret solemnis dedicatio ejus. » Gallia christiana, t. IX, col. 530.
  2. V. Dom Lelong. Histoire du diocèse de Laon, in-4o. p. 215.