Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/602

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les députés. Pour chaque district, le chiffre des électeurs et celui des députés varient selon le chiffre de la population ; le cens, qui d’ailleurs est fort peu élevé, se calcule d’après le revenu ; on peut hardiment affirmer que dans quinze districts sur vingt, c’est la volonté, ou pour mieux dire l’intervention du gouvernement qui détermine le choix. Cette intervention ne s’exerce pas toujours avec une parfaite convenance ; les journaux de Porto, de Lisbonne, de Coïmbre, ont si souvent dénoncé les manœuvres des meneurs officiels, que leurs imputations ne soulèvent plus le moindre scandale ; il n’est pas rare, après les élections générales, que les orateurs de l’opposition apportent à la tribune des cortès une curieuse macédoine de bulletins, marqués de cachets, de chiffres ; de couleurs éclatantes, sur lesquels sont contraints de formuler leurs votes les électeurs dont le dévouement peut être le moins du monde suspecté.

On voit clairement quelle chambre peuvent enfanter des élections ainsi pratiquées. En Portugal, si l’aristocratie de naissance se tient par orgueil à l’écart, le peu qui subsiste de classes moyennes, de classes moyennes indépendantes, vivant de l’industrie, du commerce, de l’agriculture, en font autant presque toujours par esprit de paresse. La démocratie, trop ignorante encore pour organiser l’attaque ou la résistance, gronde sourdement dans les cités populeuses, mais sans éclater ; elle se repose de ses terribles agitations de 1838 et de 1839. Dans les campagnes, les classes laborieuses, depuis qu’on ne fait plus, sous la bannière du prétendant, de la politique à coups d’escopette, se montrent complètement indifférentes à tout évènement qui pourrait modifier un régime ou un ministère. Les élections, on le voit, sont partout abandonnées exclusivement, ou peu s’en faut, à des fonctionnaires ambitieux et besogneux, qui, le moment venu, s’empressent d’aller à Lisbonne, sur l’ordre de leurs ministres respectifs, voter les bills d’indemnité et enregistrer les lois décrétées au conseil. Rien de plus déplorable ni de plus bizarre qu’une assemblée portugaise tumultueuse et inquiète, comme il convient aux représentans d’une nation méridionale si peu avancée encore ; acceptant sans hésiter les mesures capitales, elle chicane sur les plus vétilleux détails avec un tel emportement, une telle fougue de discussion, qu’on dirait de la montagne conventionnelle aux prises avec les girondins. Si à tout propos elle s’élève contre les ministères dans les couloirs ou dans les bureaux, si elle les voue à toutes les colères de l’opposition, l’instant d’après, en séance publique, elle adopte d’enthousiasme, si même elle ne les provoque, les lois contre lesquelles elle vient de se prononcer. Il suffit de connaître les précéderas de cette chambre ou de lire son règlement pour bien voir qu’en Portugal gouvernement et majorité ne comprennent plus aujourd’hui grand’chose aux plus simples conditions du régime représentatif. Le droit d’interpellation, le droit d’initiative, y sont entourés de telles restrictions, qu’autant vaudrait se décider à les abolir tout-à-fait Le droit de pétition a été formellement supprimé, comme offensant envers les trois pouvoirs de l’état. Les ministres, interprétant la charte comme bon leur semble, convoquent à leur gré les chambres et à leur