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qu’il a depuis mis en pratique, le ministère ne s’était point encore assuré une majorité bien docile, à la chambre des pairs où, à titre d’anciens sénateurs, étaient venus siéger M. de Lavradio, M. de Bomfim, M. das Antas, MM. Sà da Bandeira, de Taipa, de Loulé, de Fonte-Arcada, et les membres de la grandesse portugaise, dévoués à la cause libérale, M. da Costa-Cabral essuya des attaques si vives, qu’il se vit bientôt réduit à ne pouvoir plus gouverner avec les chambres. En un pareil embarras, il est aisé de voir quelle détermination devait prendre un esprit aussi résolu : comme M. de Terceira avait renvoyé MM. d’Albuquerque et Loureiro, M. da Costa-Cabral renvoya les chambres ; dès ce moment, M. da Costa-Cabral n’a pas un seul instant dévié de cette politique aventureuse qui le porte à ne plus rien faire que par lui-même, à compliquer les questions ou à les trancher par décret, sauf à demander plus tard, pour la forme, une sanction définitive, un assentiment sommaire aux cortès. Dans un pays comme le Portugal, une telle politique devait soulever des protestations énergiques : du moment où ces protestations ne purent légalement, librement se faire entendre à la tribune, il était inévitable qu’elles cherchassent à se produire sur un autre champ de bataille, et, à son tour, la coalition fit son pronunciamiento à Torres-Novas.

L’histoire de ce pronunciamiento, dont M. le comte de Bomfim a pris l’initiative et dont jusqu’au dernier jour il a été l’ame, est encore tout-à-fait inconnue en dehors du royaume. Par l’importance personnelle de M. de Bomfim, par la qualité des hommes qui à ce moment décisif ont suivi sa fortune, la levée de boucliers de Torres-Novas mérite qu’on la raconte ; elle nous offre d’ailleurs un nouvel et très remarquable exemple de la facilité vraiment chevaleresque avec laquelle, chez les nations du midi, les hommes publics sacrifient leur position sociale, si élevée qu’elle puisse être, leurs intérêts les plus chers, leur fortune, à la moindre chance qui se présente de faire triompher leurs principes. M. de Bomfim est un général éprouvé dans toutes les guerres qui depuis les luttes de l’indépendance ont désolé son pays ; il n’est pas un seul de ses honneurs, une seule de ses dignités, un seul de ses grades qu’il n’ait conquis au prix de son sang. En 1828, à l’époque où dom Miguel parvint à consommer son usurpation, M. de Bomfln, et c’est là un titre qui en Portugal l’a rendu populaire, fut de tous les serviteurs de doña Maria le seul qui jusqu’au dernier instant sut se maintenir à son poste ; retranché dans l’île de Madère, dont le gouvernement constitutionnel l’avait nommé capitaine-général, il ne quitta la place que le jour où l’artillerie de l’infant eut rasé sa dernière batterie. Six ans plus tard, quand dom Pedro lui-même débarqua dans le royaume de sa fille, pour en chasser l’usurpateur, M. de Bomfim rejoignit des premiers sa bannière ; plusieurs actions d’éclat lui valurent bientôt de remplir auprès de ce prince les difficiles fonctions de chef de l’état-major général. Doña Maria parvint à remonter sur son trône ; mais en mourant son père ne lui laissait qu’un royaume profondément déchiré jusque dans les entrailles par les dissensions civiles. Battus et découragés,