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où un officier subalterne pût discuter les ordres de ses chefs et les déférer à un conseil qui trop souvent prononçait selon les opinions, ou, pour mieux dire, les passions dominantes. Certainement, il n’y a pas, dans le Portugal, un seul esprit élevé qui ne convienne qu’un tel privilège ne se pouvait maintenir ; mais M. da Costa-Cabral n’avait-il aucun autre moyen d’imprimer à l’officier subalterne le respect de l’autorité ? N’est-ce point un principe admis aujourd’hui sans contestation, dans tous les pays libres, que le grade militaire est une propriété véritable, et non point une fonction précaire que le gouvernement délègue ou retire selon ses caprices ? Pour rallier l’officier à la cause de l’ordre, pour lui faire comprendre l’absolue nécessité de la subordination, était-il donc indispensable de l’avilir à ses propres yeux et à ceux de ses inférieurs ? Comment M. da Costa-Cabral n’a-t-il pas vu que, loin de resserrer les liens de la discipline, loin de remédier à la démoralisation de l’armée, il y a mis le sceau en amoindrissant l’officier dans l’esprit du soldat, en supprimant le prestige du grade, et, partant, le respect dont ce prestige le peut seul entourer ?

Le troisième décret du mois d’août place les professeurs des universités dans une situation exactement semblable à celle des officiers de toutes armes. A Lisbonne, à Porto, à Coïmbre, il n’y aura plus désormais un seul professeur, si recommandable qu’il soit par ses lumières ou par sa position sociale, qui, au gré du ministère, ne puisse être déplacé, suspendu, révoqué. À ce sujet, se présentent, avec plus de force peut-être, les réflexions que nous avons déjà faites à propos des officiers et des juges. A toutes les époques, depuis le moyen âge, les universités portugaises ont joui d’une complète indépendance. Sous ce rapport, aucune autre ne leur pouvait être, selon nous, comparée, ni en France, ni en Allemagne, ni même en Angleterre, nulle part enfin. Que, dans ces derniers temps de révolutions et de déchiremens intérieurs, les universités portugaises aient parfois abusé de cette indépendance ; que, par un enseignement un peu imprudent, les professeurs aient exalté souvent les passions, ou, si l’on veut, les espérances de la jeunesse aux dépens de l’ordre et de la sécurité publique, cela n’est pour personne l’objet du moindre doute. On sait bien que, depuis vingt-cinq ans, la jeunesse des écoles a pris une part active à presque tous les pronunciamientos ; mais, pour ramener l’enseignement supérieur au respect de l’ordre établi, était-il donc nécessaire de lui enlever toute sa liberté ? Le décret de M. da Costa-Cabral porte un coup mortel aux universités portugaises. Est-il un seul homme d’intelligence qui aujourd’hui consente à occuper les vieilles chaires de Coïmbre, si, à sa première parole, un ministre, et encore ne s’agit-il point ici d’un ministre spécial de l’instruction publique, — le peut réduire à un silence absolu ? Au palais du Luxembourg, dans la discussion de la loi sur l’enseignement secondaire, M. Cousin représentait plaisamment M. le maréchal Soult discutant en plein conseil les grandes questions de psychologie et de métaphysique. Le même argument se retrouve dans les journaux de. Lisbonne, qui se demandent si M. le duc de Terceira se chargera désormais de