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est la seule dont M. da Costa-Cabral ne prenne aucun souci. Que M. da Costa-Cabral ne s’excuse point sur l’indifférence que le Portugal semble professer à l’égard de toutes les lois politiques et de tous les régimes ; n’est-ce pas précisément le plus grave reproche qu’on puisse lui adresser, que trois ans de ministère ne lui aient point suffi pour en finir avec une telle indifférence ? N’est-ce pas le meilleur titre de la coalition, ce parti nouveau, où sont venus se réunir presque tous les anciens serviteurs de dom Pedro, les septembristes modérés et les plus influens chartistes, d’avoir senti qu’à tout prix il faut compter avec la nation, si l’on veut sérieusement entreprendre de la régénérer ? Sans le concours de la nation, rien de grand ni de durable ; mais, dans l’état de torpeur où elle va se dégradant, comment la nation répondrait-elle aux efforts par lesquels on essaierait de la relever ? On n’est véritablement un peuple industriel et commerçant que si on est un peuple libre, un peuple politique ; l’histoire de tous les âges est là pour le démontrer. Cette vérité, aussi vieille que la civilisation humaine, une seule nation la pourrait avec autorité rappeler à M. da Costa-Cabral : nous avons nommé la France, qui, à Lisbonne, doit avant tout se préoccuper de l’avenir des principes. Comme l’Espagne, la France jouit du privilège des conservatorias ; nous ajouterons même que son droit est moins contesté, mieux établi peut-être que celui de l’Espagne ; il a été nettement reconnu dans une convention du 14 juillet 1831. Avant d’accéder aux désirs de M. da Costa-Cabral, l’Espagne stipulera, nous l’espérons, des conditions avantageuses pour son industrie et pour son commerce : il serait digne de la France d’exiger, en faveur de la société portugaise elle-même, un retour sincère aux seules maximes de gouvernement qui la puissent reconstituer. Sans aucun doute, il nous serait facile, au besoin, de faire avec le Portugal un échange de produits naturels et d’objets des manufacture ; mais, pour nous, ce ne serait là qu’une considération secondaire, si le Portugal cessait d’être enfin le faible et besogneux vassal de la Grande-Bretagne ; si, avec l’Espagne, il formait au midi un contre-poids à l’influence de sa vieille suzeraine. Aux hommes d’état de Lisbonne qui s’imaginent que l’alliance commerciale entre leur pays et l’Espagne rétablirait infailliblement l’unité politique dans la Péninsule, à ceux qui d’avance pourraient s’affliger d’un tel résultat, nous répondrions que le vrai péril de la nationalité portugaise est dans le désordre des finances, dans la pénurie absolue du trésor, dans le malaise dissolvant qui, depuis un siècle, travaille les populations. Que le Portugal devienne enfin capable de se gouverner, qu’il soit, nom pas certes, comme autrefois, un des plus riches pays de la terris, mais un’ pays en état de se’ suffire à lui-même, et l’on n’aura point la pensée d’attenter à son indépendance. Après la mort de dom Sébastien, le roi-cardinal dom Henri livra lui-même Lisbonne aux soldats de Philippe II, en abaissant le sceptre que lui avaient rapporté les fugitifs d’Alcaçar-Quivir. Sous les princes qui, dans toutes les mers navigables, envoyaient en conquérans leurs vice-rois et leurs amirantes, songeait-on seulement en Castille à s’emparer d’un village dans l’Alemtejo ?


XAVIER DURRIEU.