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et chaleureux, du moment où la position du roi de Navarre sera changée, et où le chef du parti huguenot sera devenu l’héritier de la couronne des fils aînés de l’église. Il est difficile de concilier l’énergique conviction qu’elle exprime avec la réserve habituelle du roi de Navarre sur cette matière. Aussi serait-elle de nature à causer quelque étonnement, si Duplessis-Mornay ne rappelait, dans ses mémoires, l’origine de cette lettre, en écrivant en marge : dressée par M. Duplessis[1]. Il est facile de trouver la trace de la même influence dans les lettres du roi à Théodore de Bèze, et dans les dépêches officielles dressées pour M. de Ségur lors de sa mission près des princes protestans du Nord, mission à laquelle l’austère calviniste s’efforçait d’imprimer une couleur beaucoup plus religieuse que politique. La coopération de Philippe de Mornay aux dépêches du roi son maître se révèle par une phraséologie pompeuse et une gravité compassée. Il fait poser le roi de Navarre devant l’Europe, et substitue le langage animé d’un chef de secte au naturel parfait d’un homme dégagé de toute passion, et malheureusement aussi de toute croyance.

Les difficultés étaient grandes à la petite cour de Navarre, agitée par les intrigues de la reine-mère et par celles de Marguerite, devenue irréconciliable à son époux. On y manquait du nerf de la guerre, car le malheur des temps avait ruiné la pauvre noblesse, et il était donné à peu de gentilshommes huguenots de pouvoir, comme M. de Rosny, en venant rejoindre leur brave chef, porter en croupe derrière eux le prix de leurs hautes futaies. Il fallait se concerter avec les seigneurs mécontens qui entendaient donner à la guerre une direction toute politique, pendant que les réformés exigeaient qu’on lui imprimât une direction toute religieuse. Henri se trouvait donc placé entre des intérêts égoïstes toujours prêts à l’abandonner et des passions ardentes dont il n’était pas moins dangereux de dépendre. Il était contraint ou de rester en paix sous la protection d’édits dont le retrait était exigé par une faction puissante, ou bien d’armer contre son suzerain au risque d’avancer, par ses succès non moins que par ses revers, les affaires de MM. de Guise et la chute de la dynastie capétienne.


LOUIS DE CARNÉ.

  1. Mémoires de Duplessis de Mornay, t. Ier, p. 172 ; 1624.