Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/679

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
673
LIMOËLAN.

trait les toits fumans, les enfans égorgés, en lui rappelant que ce que les bleus avaient fait là, ils l’avaient fait à Lagrange, et que sa mère avait péri ainsi. Dans la suite, le nom seul des soldats de la république causa des transports à cet enfant, et l’on avait peine à le retenir quand il savait que son père allait se battre contre eux.

À la fin de l’année, le père et le fils passèrent la Loire et revinrent, échappés par miracle à la dernière déroute de Savenay. Dès que la guerre se ralluma, le comte de Limoëlan se réunit aux troupes de Charette. Hercule, déjà fort, chargeait à cheval à ses côtés ; ils figuraient tous deux en 1796 dans l’état-major du général vendéen, quand il fit son entrée à Nantes après la pacification de la Jaunaye. Charette mort, Limoëlan, qui n’était pas homme à poser les armes, alla lever une troupe en Bretagne, et devint, après ses campagnes de la Vendée, un des chefs les plus inconnus, mais les plus redoutables de la chouannerie. On cite encore quelques-uns de ses faits d’armes dont le souvenir s’est conservé. Un jour, deux convois considérables devaient passer sur la route de Rennes ; Limoëlan court leur barrer le passage à la tête d’une vingtaine d’hommes ; mais, en présence d’un ennemi bien supérieur, ces hommes se troublent. Cette incertitude pouvait les perdre. Le comte, tout seul, marche droit au commandant républicain, qui saisit un fusil et le couche en joue ; Limoëlan esquive le coup, saute d’un bond sur les épaules de l’officier et lui plonge un couteau dans la gorge. Ses chouans le suivirent, et le convoi fut enlevé.

À quelque temps de là, séparé des siens, Limoëlan rencontre un paysan dans la campagne et lui demande ce qu’il y a de neuf. Cet homme lui apprit que M. de Bourmont venait de prendre le Mans.

— « Eh bien ! dit Limoëlan, je prendrai Loué, moi ! »

Il trouve un peu plus loin trois insurgés et les engage à marcher avec lui vers Loué ; mais il les laisse à pied derrière lui, pénètre seul dans la ville au galop et descend chez les fonctionnaires républicains. Il vit en entrant des fusils dans la salle. — « Au nom du roi ! livrez vos armes ; vous savez que le général Bourmont a pris le Mans, son avant-garde me suit ; préparez ses logemens. »

Les fonctionnaires obéissent ; Limoëlan fait charger deux cents fusils sur une charrette qu’il emmène. À trois lieues de là, il distribue les armes à ses hommes et renvoie le voiturier en lui disant : — « Va dire à ton citoyen maire que le général Bourmont a pris le Mans avec sa troupe, et que j’ai pris Loué tout seul. »

Tel fut ce Limoëlan dans les guerres civiles. En six ans, il ne coucha point quatre nuits dans sa maison de Lagrange, dont on avait re-