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LIMOËLAN.

tous ses secrets au ministre de la police, mais dans sa profonde mélancolie cette arrestation acheva de l’abattre. On ne trouva chez lui que des papiers insignifians ; malheureusement on saisit ailleurs une de ses lettres, qui fut mise sous les yeux du premier consul. On la rapporte ici parce qu’elle fait connaître son caractère, ses dispositions du moment, et son invincible répugnance pour certains hommes dont cette intrigue l’avait rapproché. Cette lettre s’adressait à Malseigne.

« Mon ami, Simon te remettra cette lettre au nom de Durand ; ne réponds point, ou sers-toi d’une autre voie. J’ai besoin d’épancher les dégoûts qui m’étouffent. Je pense à toi pour me souvenir qu’il est encore dans le monde des âmes honnêtes. Ne me crois pas découragé néanmoins. Le pire qu’il nous puisse arriver, c’est de mourir : tant mieux, ce monde ne me donne point envie d’y demeurer long-temps. Voilà encore cet A., ce tueur, cet enragé d’égalité, qui passe à l’ennemi et qui entre dans l’état-major du césar, sur la foi de je ne sais quelles récompenses qui ont tenté sa lâcheté. Heureusement il n’est dans le secret de rien ; mais on eût pu l’y mettre, et cela fait trembler. Ainsi tous ces hideux sans-culottes se couvrent à présent de dorures, et s’en vont les uns après les autres ramper aux Tuileries ! Et un si terrible effort vers la liberté n’a pu enfanter qu’un troupeau de valets au service du premier tyran qui les voudra payer ! Mêmes courages, môme infamie parmi les soi-disant nôtres. J’ai long-temps conversé l’autre jour avec nos débris de la montagne. Ces gens-là font lever le cœur. Ils n’ont pas fait un pas hors de la mare de sang de 93 ; ils ne regrettent que les orgies d’Hébert à Auteuil, et n’ont encore à la bouche que les trois ou quatre sottises atroces de ce temps-là, le couteau de la loi, la justice du peuple, etc. On les comprend assez, les misérables ! C’est la tyrannie qu’il leur faut à la place de ceux qui l’exercent, c’est de l’or et du sang ; ils y mettent même un cynisme qui épouvante. D’ailleurs profondément ineptes, tout enivrés de leur règne d’un jour, tout bouillans de poursuivre leurs crimes, leur ignorance étonne, leur langage effraie. Qu’avons-nous de commun avec eux ? que veulent-ils et que voulons-nous ? Tout est à reprendre dans la révolution ; parmi ceux qui l’ont conduite, ou plutôt qui l’ont souillée et perdue, je ne vois pas un homme digne de respect ni même de pitié. Je ne dis rien de Mirabeau, qui ne voulait que de l’argent et du bruit, et qui ne fut qu’un instrument justement brisé quand il devint inutile. Les girondins, demi-lâches, demi-scélérats, ne savent où ils vont ni ce qu’ils veulent, et s’effraient d’un mouvement qu’ils