Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/694

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
688
REVUE DES DEUX MONDES.

homme contre homme. Au moment où Hercule, qui s’était avancé de ce côté, criait un ordre au maréchal des logis, un homme en souquenille de matelot, qui abattait tout devant lui et qui portait un masque noir, se détourne, saute sur le capitaine, et lui lâche à bout portant un coup de pistolet qui fracasse son hausse-col. Hercule lève son épée sur cet homme, mais celui-ci, prompt comme la foudre, le prévient d’un furieux coup de sabre de marine, qui heureusement, lancé de trop près, glisse sur l’épaule et le baudrier de l’officier ; cet élan mutuel les jette dans les bras l’un de l’autre. Dans cette étreinte, le capitaine serre avec tant de rage la lame de son adversaire autour de son propre corps, qu’elle éclate dans sa main, et cet effort les fait chanceler tous deux. Hercule saisit ce moment, redouble, roule avec son ennemi dont le masque tombe, et lui appuie son genou sur la gorge en tirant un pistolet de sa ceinture. Il crut d’abord que la fureur lui troublait la vue en regardant ce visage décomposé ; mais, en y portant de nouveau son arme, il le reconnut. C’était bien son père lui-même.

— Sans quartier au moins ! lui dit le comte à voix basse et l’écume à la bouche.

Hercule jette autour de lui un œil égaré, ramasse le tronçon du sabre de son père, et le lui présente ; mais le vieillard, promptement relevé, fouillait convulsivement dans le vêtement qui couvrait sa poitrine ; il en tire un couteau qui tremble dans sa main, et tout frémissant comme s’il se retenait de s’élancer encore sur l’officier, il lui dit en grinçant des dents : — Ne voudrais-tu pas me forcer à t’assassiner ? Va-t-en, car tu me tentes. Que je te rencontre une autre fois !

Il s’arracha pourtant à cette place, et s’en retourna vers les siens sans hâter le pas. Les chouans se dispersaient déjà de tous côtés, et le sergent de la compagnie, qui accourait en ce moment au secours du capitaine, s’arrêta tout stupéfait en voyant la fin de la scène ; mais, croyant sans doute le capitaine blessé, il s’écria en se tournant vers ses camarades :

— Tirez sur le brigand !

— Arrêtez, dit Hercule tout pâle et se jetant en travers, que pas un ne bouge !

— Mais, capitaine, c’est un chef, c’est le masque noir. Hercule abattit de la main le fusil de cet homme.

— Tais-toi, malheureux ; si tu tires, tu es mort.

Il s’aperçut à peine dans son trouble combien cette parole était imprudente et inexplicable pour les soldats. Le sergent dit tout bas à ses hommes :