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LIMOËLAN.

— Le capitaine s’y entend ! c’est justement ce masque noir qu’on cherche.

— Avez-vous entendu ce qu’ils ont dit, sergent ? poursuivit un soldat incorporé de la veille, et qui passait pour un espion.

— Des complimens peut-être, et chacun s’en est allé tranquillement de son côté.

Les cavaliers, qui avaient achevé de disperser les chouans dans les landes, revinrent après avoir perdu deux hommes. Leur charge, faite à propos, avait décidé le succès d’une affaire qui semblait si mal engagée, et que la troupe devait perdre par son petit nombre.

Quand Hercule se vit seul sur ce champ couvert de cadavres, son sabre sanglant à la main, sous le coup de cette lutte abominable, il fut saisi d’un transport d’horreur qu’il ne put contenir. Il rassembla sa compagnie à la hâte, et reprit, à la tête du détachement, le chemin du cantonnement dans un silence farouche, qui fut, durant la route, un nouveau sujet d’étonnement pour ses soldats.

L’aventure circulait dans les rangs à voix basse, et l’on invoquait à ce sujet le témoignage des plus anciens compagnons qui connaissaient le masque noir pour l’avoir rencontré à d’autres affaires. C’était l’usage des chouans de désigner leurs chefs par un nom de guerre, qui souvent s’attirait une renommée terrible. Celui dont il s’agit était un des plus redoutés, et pour sa bravoure extraordinaire, et pour la rapidité prodigieuse de ses attaques, qui semblaient se multiplier dans tout le pays. Vingt fois on avait dressé des plans pour le prendre sans y pouvoir réussir. Jamais on n’avait vu son visage, et, l’imagination des soldats s’en mêlant, on allait jusqu’à dire qu’il était l’un des personnages les plus considérables de l’émigration et l’un des princes de la famille des Bourbons.

Hercule marchait la tête basse. Sans nouvelles de son père depuis long-temps, mais le croyant paisiblement retiré à Lagrange, il cherchait à s’expliquer comment et pourquoi il avait repris les armes, et, tout le ramenant à sa fatale rencontre, son trouble se trahissait par des frémissemens et des gestes involontaires.

En revenant après un tel avantage, le capitaine Hercule fut très obligeamment accueilli par le commandant, soit que la méfiance de cet officier fût diminuée par cette brillante conduite, soit que cet accueil servit à dissimuler ses sentimens véritables. Hercule, encore tout ému, saisit ce moment : — Mon commandant, lui dit-il, je vous en conjure, tirez-moi d’ici, donnez-moi quelque commission plus tranquille ; je ne suis pas fait pour cette guerre. Je suis né dans ce pays,