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LIMOËLAN.

tour isolée sur le sommet d’un coteau ; plus loin, les pans de murs noircis d’une ferme incendiée ; tout portait dans les environs les traces du fer et du feu des colonnes infernales. Son émotion redoublait à chaque pas, ses yeux étaient pleins de larmes, et sur la limite des champs il soutait légèrement par-dessus ces échaliers qu’il s’était si bien exercé à franchir dans son enfance.

Dans son premier projet, il ne voulait que voir de loin le toit où dormait son père, errer autour de sa maison comme un étranger, et s’en retourner aussitôt. Il comptait maintenant interroger quelque paysan, se découvrir à quelqu’un du château, avec toutes les précautions nécessaires. Enfin il aperçoit tout à coup la vieille grande tour de Beaulieu, qui se détachait en noir sur le pâle azur du ciel ; la lune éclairait le paysage et bordait d’une ligne de lumière le vaste profil des remparts. Hercule s’arrêta quelques minutes pour reprendre haleine ; il reconnut les masses de verdure qui dominaient la tour. C’est là que, tout enfant, il allait hardiment chercher des nids d’oiseaux. Il suit avec ravissement le contour de ces vieilles murailles dont il retrouve en son souvenir les portions qui lui sont cachées. Derrière ces créneaux se trouve le petit bâtiment ruiné de la ferme ; un pan de mur écroulé lui marque la plate-forme ancienne où jadis il a vu des potagers, et cette guérite en pierre couvre l’entrée défendue qui mène aux souterrains du château. Enfin il distingue, à force d’attention, le petit chemin creux qui monte en tournant au château, la gothique porte tout ouverte et toute démantelée qui encadre un coin du ciel, et qui n’a plus dans sa ruine que la forme d’un arc-de-triomphe.

Mais à ce moment même, l’œil attiré par un point lumineux, il reporta les yeux sur lui-même et reconnut avec frayeur la garde et la dragonne de son sabre qui reluisaient au clair de lune et son uniforme brillant qui pouvait le trahir en cet endroit découvert. Il reprit vivement sa marche. Il voulait voir surtout le toit d’ardoises de Lagrange, et l’ancienne chapelle située à l’angle du bâtiment, qui était seule demeurée intacte après les incendies de 93 ; cet espace de terrain qui était autrefois le jardin, où étaient restés de son temps quelques pieds de vignes et des fleurs rustiques, et enfin la maisonnette de Langevin. Tout en se promettant de résister aux mouvemens qui le poussent, il avance et s’arrête de temps en temps, épiant autour de lui au moindre bruit qu’il croit entendre ; il tourne ainsi les flancs du vieux château, passe sur des cailloux la rivière basse qui en baigne le pied,